[Independence Day] Blue Cocker, l’éditeur qui a du chien
Blue Cocker s’est prêté au petit jeu de l’interview de la série « Independence Day » qui se veut une présentation du monde l’édition francophone de jeux de société. Alain Balaÿ– phagocyté sporadiquement par Benoît Turpin et Lola Esteve – a accepté de nous parler de l‘origine, du développement, des productions et des projets de Blue Cocker ainsi que de sa vision du monde du jeu. C’est parti …
J’utilise le tutoiement est-ce que c’est dérangeant ?
Alain > non je tutoie tout le monde. Ça surprend parfois les mamies de 80 ans, mais de moins en moins l’âge aidant.
Tentons de percer à cœur Blue Cocker ! Car tout a un début, peux-tu nous parler de la genèse de Blue Cocker ?
Alain > BLUECOCKER est né le 23 mai 2013, après avoir eu une autre vie d’ingénieur informatique, j’ai décidé en 2008 de changer de vie et n’étant pas du genre à avoir planifier grand-chose, j’ai fait une peu tous les métiers du jeu , de ludothécaire , en passant par animateur, ludicaire (même si le terme n’existait pas encore) puis assistant éditeur pour finalement me lancer avec l’appui moral et financier de quelques fous et folles dans l’édition.
Pourquoi le nom Blue Cocker ?
Alain > Le nom, ça c’est l’alcool et la drogue ! Et après le matin faut assumer. Plus sérieusement, tous les bons noms avec jeu ou ludo dedans étaient pris, alors j’ai réfléchi et vu que la base c’était de faire ce que j’aime et de vivre de ma passion, j’ai choisi le bleu qui est ma couleur préférée et les cockers que j’aime passionnément (un chien un peu fou, très joueur, très très comédien), histoire d’avoir un rappel constant de pourquoi je fais ce métier.
Benoît > La team Blue Cat travaille en sous-main depuis plusieurs mois pour se débarrasser du chien… mais chut, le patron ne le sait pas…
Quelles sont les raisons, motivations ou opportunités de création d’un éditeur comme Blue Cocker ?
Alain > La raison principale, c’est de faire des jeux qui me manquent en tant que joueur. La motivation c’est de « faire », au sens premier du terme, des jeux, de passer d’une idée, d’un prototype parfois assez vague à un objet qui va procurer des sensations à des gens. Dans jeu de société, le mot important c’est société. Elle est dans la pratique et dans la conception aussi : je travaille en équipe avec auteurs (pas d’autrices pour le moment mais c’est un état de fait que je déplore) et illustrateurs ou illustratrices
Alain, par rapport à ton parcours personnel de touche à tout dans le monde ludique pourquoi avoir choisi de travailler précisément dans l’édition de jeux de société ?
Alain >J’ai quasi essayé tous les métiers du jeu – à part distributeur et fabricants – et finalement, c’est l’édition qui me satisfait le mieux je pense. Il y a cet aspect de passer d’une idée à un objet, de faire jouer des gens, d’avoir un métier très riche avec plein de facettes, et de pouvoir travailler en équipe. Une journée chez le chien ne ressemble pas à la précédente ni à la suivante et ça me convient très bien. Je me lève tous les matins (enfin plutôt tard en fait) avec l’envie de bosser et la vie est trop courte pour faire autrement !
Quel a été le premier jeu édité par Blue Cocker ?
Alain > Medieval Academy, un jeu de Nicolas Poncin illustré par Pierô, qui a longtemps été mon plus gros succès avant Welcome et qui n’est plus édité actuellement mais que j’ai bien envie de ressortir. C’est un jeu de draft familial où l’on peut se faire des coups en douce qui a donc un game play très fort.
Y a-t-il une équipe Blue Cocker ?
Alain > Depuis un an maintenant, le chien bleu n’est plus tout seul. Et depuis un mois on est même 3. En vrai on peut dire 4 même, car si Anne Heidsieck n’est pas salariée de l’entreprise, elle est mon illustratrice principale et la maquettiste officielle du chien bleu. Et même si on compte Bruno, mon manager export qui est aussi celui des Ludonautes. J’ai donc un demi Benoit Turpin comme chef de projet qui fait tout et un quart de Lola Esteve comme chargée de communication, qui peut tout faire aussi et qu’il l’a prouvée depuis longtemps en m’accompagnant en animation depuis des années. J’aime bien tronçonner les gens. Benoit, Anne et Lola sont tous et toutes pleins d’énergie de motivations et de talents, mais c’est parce qu’avant d’être de bons employés ce sont des bonnes personnes ; et c’est bien pour ça que je les ais choisies … mais chut faut pas leur dire sinon ils et elles vont prendre la grosse tête.
Lola > Je suis très heureuse de participer à l’édifice Blue Cocker que j’accompagne déjà concrètement depuis son deuxième jeu sorti. Alain fait des choix réfléchis et surtout questionne le jeu, la mécanique et son plaisir ludique. Il a aussi des idées précises de ce qu’il veut et ce à quoi il voudrait jouer, et comme je suis pareil, nous avons de longues discussions sur ce que pourrait être les jeux à éditer. Nous avons un mode de travail où chacun à son mot à dire et où les décisions sont discutées d’une manière collégiale, ce qui est très agréable mais qui demande aussi pas mal d’organisation ! J’ai la chance de connaître différentes manières de promouvoir le jeu, ayant été ludothécaire, animatrice, vendeuse, youtubeuse, mais je suis une passionnée avant tout, exigeante, et j’ai la chance d’avoir accès à beaucoup de jeux, anciens et nouveaux. Cela me permet d’affiner mes envies ludiques et de savoir plus précisément ce que je voudrais voir émerger sur le marché.
Alain > On est donc 1,75 à travailler en ce moment. Et j’essaie de faire en sorte qu’on soit une équipe oui. Comme il et elles râlent beaucoup, je pense que je suis sur la bonne voie. Et je rajoute à ça tous les auteurs de mes projets.
Benoit > du coup, moi je suis sensé avoir le droit de râler deux fois plus. Mais ça ne l’empêche pas de me virer 2 ou 3 fois par semaine…;-)
Et où se situe le lieu de travail ?
Alain > C’est à la niche bien sûr, c’est à dire chez moi à Toulouse où deux bureaux et le salon sont dédiés à la maison d’édition.
Benoit > Alain a déménagé pour nous faire un beau bureau et c’est plutôt cool même si je vais devoir le partager avec Lola maintenant et qu’elle va râler parce que c’est le bazar… C’est très agréable aussi de travailler chez Alain parce qu’il fait très bien à manger. Et ça ne doit pas être si courant que ça que son patron fasse la popotte…
>Alain : Et en ces temps de confinement, dur de montrer tout le monde au travail en même temps. On télétravaille à 90 %.
Quelle est la démarche d’édition choisie par Blue Cocker ?
Alain > On me propose des protos ; si j’accroche on part en développement. Si on arrive à quelque chose qui satisfasse l’auteur ou l’autrice et moi, si on est arrivé à magnifier son jeu en respectant son propos et que ça donne quelque chose d’éditable on signe. Puis on fait le développement matériel et thématique, enfin ça se chevauche quand même avec le développement de la mécanique. On choisit un illustrateur ou une illustratrice. On fait le développement graphique en équipe aussi. On met au point une stratégie de communication. On travaille l’export. On fabrique et on vend.
Quelles sont les options choisies, abandonnées ou jamais envisagées ?
Alain > Le financement participatif ? Pas pour le moment ; mais un jour si j’ai un projet qui correspond à cette plateforme, je m’y essaierais bien, mais c’est un métier ou plutôt des métiers assez différents. La coédition ? J’en ai fait avec Casting mon second jeu et plus récemment avec Welcome pour la Petite mort. L’édition classique ? C’est clairement mon activité principale et parce que je pense que c’est la manière d’éditer qui a ma plus grande faveur. On propose un œuvre et le public y adhère … ou pas. C’est sain. La localisation ? J’ai essayé une fois. Au moment de la sortie de patchwork, j’ai contacté l’éditeur original, mais ça ne s’est pas fait. Et il faut vraiment que j’adore le jeu pour me positionner, parce qu’en règle générale, j’aime bien y mettre les pattes et modifier des choses ce qui est rarement possible. Le Print & Play ? Pour moi, c’est un mode de communication et pas d’édition proprement dite. J’en fais parfois sur des jeux qui s’y prêtent. Je l’avais fait pour Welcome et le ferait probablement pour le prochain, comme moyen de communication avant la sortie du jeu.
Quels sont les choix de fabrication, les impératifs, les impondérables, les contraintes de fabrication à respecter ?
Alain > Houla, il ya plein de choses à dire là ! Alors le choix de matériaux et de format beaucoup dicté par le jeu. Pour moi il impose sa forme. Les contraintes de fabrication, il y en a c’est sûr. Le nombre de cartes qui dépend du format, la forme des pions en bois, les tailles de boite. On peut quasiment tout faire, mais si on s’écarte du standard, le prix grimpe vite. Les lieux de fabrication : eh bien on va dire qu’il y en a 3 : la France, l’Europe ou l’Asie . Pour la France, certains y arrivent et je leur tire mon chapeau, mais ça implique beaucoup de contraintes, notamment sur les jeux à éditer et je ne suis pas encore prêt à refuser un jeu à cause de ça. Pour l’Europe, c’est l’immense majorité de ma production – plus précisément en Pologne, chez Fabrikakarta. J’ai aussi des productions en Chine chez What’z, pour les jeux ou il y a du plastique (on ne sait plus faire ça en Europe), mais surtout pour les marchés asiatique et européen (ça fait sens pour moi de produire au plus près du marché).
Comment Blue Cocker s’intègre-t-il à la démarche d’écoresponsabilité ?
Alain >Alors la UEJ (Union des Editeurs de Jeux) a créé une commission écologique qui va publier un rapport sous peu. Mais en gros il apparaît que l’impact écologique d’un jeu est essentiellement dû à sa fabrication et très peu à son transport. C’est donc là-dessus que je travaille. Mon fabricant vient d’ouvrir une usine très écoresponsable (allez voir leur petit live à ce sujet : https://www.youtube.com/watch?v=fnpccriS5fE ) et on travaille donc à avoir des jeux éco-fabriqués ou tout le papier et le carton est issue de forêt NFC voire d’herbe. J’attends le devis, mais ce sera j’espère le cas à 100 % pour mon prochain jeu. Sur l’emballage, j’avais réfléchi à ne plus mettre de cellophane, mais c’est une fausse bonne idée (ça implique des pastilles pour sceller le jeu et un vernis plus important), je vais donc sûrement opter pour un cellophane biodégradable – certes moins transparent mais moins impactant. L’autre piste est de produire en numérique et pas en offset (pour éviter notamment les énormes pertes de calages – près de 500 feuilles quel que soit le tirage : imaginez pour un tirage à 1000 ou 2000). Mais nous n’avons a pas encore les capacités de production locale assez performantes et rentables pour ça, même si Victoria Game par exemple se positionne sur ce créneau – et en France. Bref, on y bosse et ça progresse, mais ça prend du temps. Donc pas sûr qu’on y arrive suffisamment vite avant que quelques autres catastrophes nous empêchent de faire quoi que ce soit. Oui je crois assez à la collapsologie (NDLR : La collapsologie est un courant de pensée récent qui étudie les risques d’un effondrement de la civilisation industrielle et ce qui pourrait succéder à la société actuelle).
Quelle est la ligne éditoriale choisie par Blue Cocker ? Comment se font les choix des jeux à éditer ? J’entends dire « le gameplay avant tout », c’est ça ?
Alain > Il faut que le jeu ait un gros potentiel, un fort gameplay de base. Le premier test, il faut que je tombe amoureux de la chose : entre les tests et la promo, on va faire plusieurs centaines de parties, alors si on ne l’aime pas au départ, c’est pas la peine de continuer. Et si on arrive à exprimer le potentiel lors du développement, on signe.
Concrètement comment se fait le choix des auteurs et des illustrateurs ? Je pense notamment à Benoit Turpin (son entretien sur Undecent.fr ici) ou Florian Sirieix (son entretien sur Undecent.fr ici) pour les auteurs et à Anne Heidsieck (son entretien sur undecent.fr ici) pour l’illustration. On a l’impression qu’il y a une certaine fidélité entre les uns et les autres ?
Alain > Quand je choisis un jeu, je choisis aussi de bosser avec son auteur ou autrice. Si ça ne match pas pendant le développement mécanique, il y a peu de chance que je le signe, même si c’est un très bon jeu. Pareil avec les illustrateurs ou illustratrices. On ne signe un jeu que quand on est satisfait l’auteur et l’autrice et moi, donc c’est que la relation s’est bien passée et ce même si le succès commercial n’est pas au rendez-vous. : on a fait ce qu’on a voulu faire. ça n’empêche pas de se planter mais ça empêche de le reprocher à l’autre après. Et comme on a fait ce que l’on a voulu, on a souvent envie de le refaire. Mais en vrai , c’est plutôt à eux qu’il faut le demander.
Benoit > Alain est en effet extrêmement impliqué dans le développement du jeu et c’est quelque chose de très agréable. Tous les éditeurs n’ont pas sa compréhension des enjeux mécaniques. De plus, il est très impliquant. C’est beaucoup de boulot mais on a l’impression d’être écouté (même s’il faut le convaincre à chaque fois et qu’il râle tout le temps). Au final, on a débattu de tous les points du jeu, avec lui et avec Anne pour l’illustration. Rien n’est laissé au hasard et le résultat correspond vraiment à une décision commune (même si le Chien bleu tranche à la fin). C’est une démarche que j’apprécie beaucoup en tant qu’auteur. Et en tant que développeur / chef de projet, ça permet de faire du billard à 3 bandes avec l’auteur et Alain. C’est très productif.
Pour donner un peu d’espoir aux acteurs professionnels du monde ludique, comment un auteur ou illustrateur de jeu s’y prend-il pour taper dans l’œil de Blue Cocker ?
Alain > Il ou elle envoie un pitch. Si ça me plaît, je demande les règles, si ça plaît toujours, je demande le proto et là on cause et on commence à bosser. Et après le développement, si le jeu nous plait toujours et qu’on s’entend bien, on le signe. Autant dire qu’il y a une chance sur 1000 ou moins. Mais bon, vu que je fais un jeu ou deux par an …
Benoit > Depuis un an, je m’occupe du sourcing auteur, et donc je peux prendre les rendez-vous qu’Alain n’avait plus le temps de faire. Ce qui permet d’être plus en contact avec les auteurs. Je réponds aussi aux nombreux mails de propositions que l’on reçoit, souvent pertinentes, parfois farfelues mais le choix est drastique. Le boss est dur à convaincre.
A quelle étape l’éditeur joue—t-il le rôle le plus essentiel ?
Alain > Eh bien tout le temps. Un jeu est une alchimie de plein de composantes et toutes ont leur importance. Si on doit le comparer à un autre domaine culturel, ce serait plutôt le cinéma que la littérature. Et dans un film d’exception comme dans un jeu exceptionnel, tout se doit d’être au top. On est une trop petite équipe pour que tout le monde ne fasse pas un peu tout, mais disons que j’essaie de donner à chacun et chacune le plus de liberté dans les contraintes imposées. Allez, je vais me la pêter en citant le philosophe Colas Duflo :
Le jeu est l’invention d’une liberté dans et par une légalité.
Colas Duflo
C’est sûrement valable pour son édition aussi.
> Benoit : On fait en effet un peu tout (vraiment tout) chez Blue Cocker. Alain est là pour faire avancer les choses en écoutant les propositions, en remettant en question les certitudes des auteurs et en tranchant après débats. Il est plutôt utile finalement…
Combien de temps prend ou peut prendre en moyenne l’édition d’un jeu ?
Alain > Le prochain sera le plus court jamais fait : un an de la présentation du proto à la mise en vente en boutique. Mais c’est totalement exceptionnel (un jeu a 2, facilement jouable en ligne (sur TTS), développé pendant le confinement et avec déjà une base très solide, etc …) . En moyenne c’est plutôt 24 mois et ça peut prendre beaucoup plus.
Parlons un peu des jeux édités par Blue Cocker.
Quel est le jeu qui a demandé le plus d’investissement en temps et en énergie pour arriver à son édition ? Je me lance Save the Meeples ? Ou je suis tombé complètement à côté ?
Alain > Blue Cocker sortira fin mars son 9ème jeu (sans compter les extensions) : Rest In Peace.
Mais clairement le jeu qui a demandé le plus d’investissement ça va être Crime Scene, un jeu d’enquête qui sortira l’année prochaine. Après, Welcome to Las Vegas a été un casse-tête de Direction Artistique et d’illustration (Anne Heidsieck en fait encore des cauchemars, je pense).
Welcome to the Moon est assez complexe aussi de ce point de vue là mais elle vous en parlerait mieux que moi. Save The Meeples, pas tant que ça, je dirais.
Benoit > Après 2 jours de travail sur Welcome to the Moon, Anne nous a dit « ça y est, je suis un peu morte de l’intérieur » … et encore, c’est plus simple que Vegas…;-). Moon a pris beaucoup de temps pour le développer coté auteur mais Anne étant rodé, ça avance finalement très vite pour un aussi gros projet. Crime Scene lui a pris beaucoup de temps à avancer mais on est en train de passer au concret. Et on devrait pouvoir aller plus vite dès maintenant. C’est un projet très particulier qui sort un peu des sentiers battus. Donc forcément il prend plus de temps.
Parle-nous du phénomène Welcome qui a popularisé le flip n’ write comme une mécanique de référence du jeu actuel. Comment est venu l’idée de le décliner en une multitude de mini-extensions ?
Alain > Welcome est une boite à outil qui permet plein de choses, mais Benoit en parle mieux que moi.
Benoit > Au début de l’aventure Welcome, on (je, en tout cas) ne s’était pas rendu compte du potentiel de Welcome, en terme mécanique. Quand Alain m’a demandé de réfléchir à la suite, en mode carte blanche, j’ai d’abord beaucoup bloqué, puis beaucoup galéré. Et c’est seulement pendant le long développement de Vegas qu’on s’est rendu compte que la structure de base de Welcome permettait beaucoup de choses, de petites modifications pour les mini-extensions à un grand saut en complexité pour Vegas, pour finir de grands changements tout en restant dans le cadre de Welcome pour Welcome to the Moon. Welcome est devenu une sorte de tableau blanc sur lequel je m’amuse à essayer de nouvelles choses, en compagnie d’Alexis Allard – le concepteur des modes solos. Et tant qu’on ne me dit pas stop…
Chaque jeu édité est forcément une belle satisfaction. Mais y a -t-il un jeu du catalogue Blue Cocker qui mérite à ton avis de rencontrer davantage de public ?
Alain > Yesss est un jeu de communication dont je suis très content et qui est venu s’écraser contre le mur CodeName sorti peu après en France.
Quel est le jeu qui a été le plus vendu chez Blue Cocker ? Je parierai sur Welcome To …, je ne suis pas trop loin ?
Alain > Clairement, je n’ai pas les derniers chiffres, mais on doit avoisiner les 150 000 boîtes dans le monde. Ça a permis beaucoup de choses chez le chien bleu : principalement d’avoir la trésorerie pour fonctionner beaucoup mieux et d’embaucher Benoit et Lola, etc …
Parle-nous de la dernière sortie Blue Cocker : un concept particulier ce Welcome To la Petite Mort ! Un crossover ? Une collab’ ?
Alain > C’est né d’un délire entre Antoine des Lumberjack et moi. On en a parlé aux auteurs qui ont eu des bonnes idées. Du coup, il fallait le faire, non ?
Benoit > Comme quoi, on peut faire faire ce qu’on veut aux auteurs… Quand Alain est rentré d’Essen 2019 et qu’il m’a dit : « hey, on a eu une idée avec Antoine de Lumberjack : Welcome to la Petite Mort » j’ai trouvé ça très cool comme principe (en plus j’adore la BD), et un peu gonflée comme démarche : « au boulot les auteurs, nous on a picolé et on s’est marré. » Mais comme ça m’a parlé. Je m’y suis mis immédiatement et en deux mois on avait l’extension pour Welcome et celle de François Bachelart pour La Petite Mort de prêtes pour qu’Anne Heidsieck et Davy Mourier fassent leur taf. Il ne faut pas le dire trop fort, mais c’est ma version préférée de Welcome en ce moment…
Peux-tu nous présenter les futures sorties prévues ?
Alain > Avant Welcome to the Moon, il va y avoir R.I.P. Un jeu de Fabien Gridel , illustré par Anne, qui va sortir en mars 2021. C’est un jeu à 2 très malin, accessible, riche. Un jeu de majorité ou toutes les parties sont différentes. Qui se joue en 15 mn. Une sorte de Shotten Totten survitaminé, même si le gameplay est assez différent.
Puis effectivement Welcome to the Moon à l’automne 2021. Qui va être la fin de la trilogie en stand alone de Welcome. Un Welcome avec 8 feuilles différentes à jouer indépendamment ou en campagne avec un coté narratif et des game play vraiment différents pas rapport à Welcome. En terme de complexité , ça démarre un peu en dessous de Welcome et ça finit entre Welcome et Vegas. Et ça raconte la colonisation de l’espace bien évidemment. On en est au développement graphique et matériel. Benoit et Alexis Allard sont les auteurs. Et Anne Heidsieck l’illustratrice.
Y a -t-il des projets à plus long termes dont tu peux nous parler ? Mon petit doigt me souffle « un jeu d’investigation », il y a un peu de ça ?
Alain > Oui, le suivant sera Crime Scene, un jeu de Pierre & David. Un jeu d’enquête basé sur des photos de scènes de crime. Des vraies photos, pas des dessins (oui on va tuer des gens aussi, mais faut ce qui faut !). Très immersif, très accessible avec déjà quatre scénarios prévus dans la boite de base et quelques autres pour des suites éventuelles.
Y a-t-il des projets qui te tiennent à cœur dans le moyen et/ou long terme ?
Alain > Des jeux d’équipe. On travaille depuis quelques années sur Corpo, un jeu de Maxime Raimbourg (l’auteur de The Big Book of Madness, The Loop). Un projet qui a été très perturbé par le COVID, mais que j’espère reprendre très vite. Un autre jeu d’équipe de Nicolas Oury (l’auteur de Mykerinos) sur lequel on avance aussi. Un autre petit de Fabien qui a bcp de potentiel, mais il faut que je le fasse tester plus largement et en ce moment ….
Comment Blue Cocker se fait-il le mieux connaître ? Y a -t-il des pistes de plus en plus abandonnées pour un éditeur comme Blue Cocker?
Alain > On n’abandonne rien , mais il faut prioriser. Le budget com’ d’un jeu a explosé en quelques années et la « fenêtre de tir » s’est considérablement réduite. Aujourd’hui la durée de vie d’un jeu se mesure en semaines, à part pour les quelques -uns – moins de 10 % qui auront plusieurs tirages – et le 1 % qui aura une longue vie de plusieurs mois voire années (!!!) . La com’ ne rend pas un jeu meilleur, mais elle est devenue nécessaire pour lui donner une chance d’exister. Après, c’est le jeu qui fera ses preuves, encore faut-il qu’il arrive jusque-là dans un marché mondial très chargé. Mais il faudrait des pages pour développer tout ça.
D’autres moyens de communication sont-ils de plus en plus envisagés ? Lola a rejoint l’équipe récemment, son rôle te parait-il essentiel ?
Alain > Notre nouvelle chargée de communication, mais pas que (on va la coller au dev dès que j’aurais réussi à la convaincre de passer plus d’un quart temps chez le chien bleu – cette dame a un agenda de ministre et une To Do List de projet qui grandit exponentiellement), elle fait très bien ce que je faisais par-dessus la jambe : faire connaître notre travail et les gens qui le font. Il faut une présence constante pour faire ça et pas le faire quand le reste vous laisse souffler. Si on veut que le jeu soit plus considéré comme un produit culturel, il faut communiquer plus, mieux, et faire passer ce message.
Comment se fait la distribution des jeux Blue Cocker ?
Alain > En France exclusivement via Blackrock Games, principalement en réseau hyper spécialisé (les boutiques) et un peu spécialisé ( les Cultura, Toys , etc ..). A l’étranger via des partenaires éditeurs ou distributeurs.
Quels sont certains de ces principaux partenaires ?
Alain > Rebel en Pologne. En langue anglaise, c’est en train de changé. Au Quebec , Dude games. En Belgique Asmodée Benelux. En Espagne SD game. Au japon , Endgames… La liste des éditions de Welcome sur BGG peut donner une bonne idée. C’est une quinzaine de langues et une trentaine de pays. Mais c’est à reconquérir à chaque jeu, même si le contact est plus facile depuis Welcome.
Quel impact a (ou a eu) la crise liée au Covid sur un éditeur comme Blue Cocker ?
Alain > Clairement, le reconfinement 15 jours après la sortie de Vegas a freiné le jeu, mais pas autant qu’il aurait pu. Et Welcome est un pur jeu de confinement, donc je n’ai pas à me plaindre par rapport à d’autres. L’export a eu un vrai coup de frein aussi, mais ça repart doucement.
Pas de festivals en ce moment. Comment arrive-t-on à compenser cela ?
>On ne peut pas vraiment. Le jeu de société se pratique en société et les festivals, les bars à jeux en sont les parfaites vitrines.
Du digital comme à Essen cela suffit-il ?
Alain > Essen digital est un échec pour moi. Des initiatives comme Bien Ouej ont eu un petit succès, mais ce qu’il faudrait vraiment et qui pourrait être utile, même hors covid , c’est un vrai festival virtuel : une espèce de second life qui reproduit un vrai salon et ou les gens ont des avatars peuvent y circuler se rencontrer, échanger.
D’une manière générale, depuis ses débuts, quelles ont été les principales difficultés rencontrées pour Blue Cocker ?
Alain > Il y en a trois : la trésorerie, la trésorerie et la trésorerie. Je déconseillerais à un nouvel éditeur de se lancer avec moins de 100 000 euros en poche. C’est bien sur faisable, mais beaucoup de temps, d’énergie de perdus et beaucoup de risques.
Comment vois-tu l’évolution du marché de l’édition du jeu ?
Alain > Ca grossit lentement, mais sûrement ce qui est une bonne chose. Ça se professionnalise. Ça monte en qualité. Ça évolue très vite. Mais ça reste un des milieux dans lequel j’ai rencontré une étonnante proportion de gens formidables. Il y a bien sur quelques connards, mais bon, moins qu’ailleurs, j’ai l’impression. Mais ça reste une partie de la société avec ses tares et ses défauts, et c’est normal. Donc ce marché évoluera selon ce que nous en ferons collectivement pour le meilleur et pour le pire.
Pour conclure, qu’est-ce qui selon toi fait l’originalité d’un éditeur comme Blue Cocker ?
Alain > Je ne sais pas si je suis original. Je ne cherche pas à l’être. On essaie de travailler les jeux du mieux qu’on peut, d’exploiter au maximum leur potentiel et de suivre le propos de l’auteur ou de l’autrice (même s’il ou elle n’est pas toujours conscient(e) d’en avoir un). Mais, il y en a bien d’autres qui font ça et mieux que nous. Repos Pruduction , le Scorpion Masqué, Libellud , Cocktail Games et plus récemment Grre Game pour n’en citer que quelques -uns de francophones (pardon aux autres), m’inspirent et me motivent bcp.