[Test] Codex Naturalis, la mystérieuse quête des règnes vivants des forêts primaires
2-4 joueurs | Thomas Dupont | ||
7 ans et + | Maxime Morin | ||
25 minutes | Bombyx | ||
Placement de cartes Gestion de main, objectifs, Course aux points | Nature, enluminure, médiéval | ||
13,50€ chez | et dans votre boutique de jeux favorite ! |
Sentez-vous cette odeur pesante d’humus qui flotte dans l’air ? Apercevez-vous ce soleil qui perce, voilé par quelques frondaisons ? Voyez-vous cette clairière tapie de magnifiques trompettes des morts ? Un petit point d’eau accueille une libellule violacée, presque semblable à celles que vous connaissez déjà tandis qu’une grenouille d’une couleur turquoise, rare, tente en vain de s’en approcher. Et quelques papillons multicolores plus gros que les plus gros machaons que vous avez déjà observés virevoltent avant de se poser, à deux pas de cet oiseau au plumage ébouriffé dont vous n’avez pas encore attribué de nom. Mais vous n’êtes pas seul, un craquement de branche morte vous met en alerte, la tension monte… au loin, une meute de loup hurle et quelques hululements se font entendre alors que le soleil commence à décliner. Tout est pourtant réuni pour poursuivre le travail du moine enlumineur Tybor Kwelein, c’est à dire “assemblez” les pages de parchemin du Codex Naturalis, un manuscrit secret qui recense les espèces des règnes vivants dans les forêts primaires. Mais vous ne semblez pas seul à vouloir faire connaître des espèces déjà menacées par tant de convoitise …
Codex Naturalis est donc tout simplement un jeu de pose et de placement de cartes. Thomas Dupont et l’éditeur Bombyx nous proposent un jeu familial, illustré par Maxime Morin, accessible et profond, pour 2 à 4 personnes pour des parties d’une durée plutôt courte. Et surtout une course aux points ! Un peu à la manière d’un Motu chez Superlude, pas à Tahiti mais bien dans un environnement d’enluminure médiévale lié aux espèces vivantes de la forêt primaire, placez judicieusement vos feuilles de vélin cartes en recouvrant les angles de celles déjà posées, en fonction des ressources ou des objets que vous avez ou qu’elles vous apportent, et n’hésitez pas à recouvrir, donc à perdre certaines ressources pour développer votre aire de jeu. Ces ressources sont répertoriées en quatre catégories : règne végétal (vert), règne animal (bleu), règne entomologique (violet), règne fongique (orange). Aussi, chaque carte comporte jusqu’à quatre coins visibles sur son verso et une ressource permanente en son centre au recto. Les coins sont soit vides, soit comportent des ressources et/ou des objets. Certaines ont une dorure, ce qui signifie qu’elles rapportent des points à la condition de posséder les ressources indiquées. Poser des cartes qui rapportent des points immédiatement, remplir les objectifs personnels et collectifs de fin de partie ce seront vos deux manières d’engranger des points.
Serez-vous donc prêt à oser recouvrir et perdre le recensement d’une espèce rare des forêts primaires pour développer votre manuscrit ? Car choisir, c’est renoncer un peu non ?
Qu’est ce qu’on trouve dans la boîte ?
- 40 cartes Ressource
- 40 cartes Dorure
- 6 cartes de départ
- 16 cartes Objectif
- 9 pions (pions joueurs + pion premier joueur)
- 1 piste de score pliable
Comment on joue à Codex Naturalis ?
Mis en place :
Chacun met son pion de couleur sur le départ de la piste de score. On mélange les deux paquets de cartes (Dorure et Ressource) et on révèle deux cartes de chacun des paquets. Etape suivante, chaque joueur tire au sort une carte de départ, la place sur la face de son choix (d’un côté une ressource centrale, de l’autre des ressources sur les coins) et pioche sa main de départ qui sera composée de 2 cartes Ressource et une carte Dorure. Ensuite, on tire au sort deux cartes Objectif qui constitueront des objectifs communs à tous les joueurs. Et pour finir voici le premier choix stratégique de la partie : chacun pioche deux cartes Objectif, les consulte et n’en conserve qu’une (face cachée) en fonction des ressources qu’il a en main, de sa carte de départ et des objectifs communs ; certains objectifs peuvent être complémentaires ; à vous de faire le bon choix ! Chacun a donc 3 objectifs (deux communs à tous les joueurs et un secret).
Justement, comme il faut bien les choisir, autant dire un petit mot rapide sur ces objectifs qui seront comptabilisés uniquement à la fin de la partie. Ils sont déjà très simples à comprendre. On en trouve deux grandes catégories :
- Celle où il faut reproduire exactement un schéma de 3 cartes, de la bonne couleur et posées dans le même sens que la carte Objectif, il faut savoir que toutes les cartes ont une couleur de fond (il y en a 4 différentes qui correspondent aux 4 règnes naturels).
- Les séries de deux ou trois pictogrammes visibles sur les cartes de son aire de jeu qui vont rapporter.
Le premier joueur est choisi au hasard (on le repère avec le pion noir). Et l’élaboration de votre Codex peut commencer…
Tour de jeu :
Chaque joueur joue à son tour une carte de sa main en l’assemblant à celle(s) déjà posé(es) et en respectant une règle de pose simple : on respecte déjà le sens horizontal de pose de la carte ; ensuite, il faut qu’un coin de ma carte se pose sur le coin d’une carte déjà posée ; mais attention, le coin qui réceptionne la carte doit avoir un emplacement dessiné prévu à cet effet. Il arrive souvent que certains coins de cartes ne possèdent pas d’emplacement, ce qui peut être problématique pour réaliser une figure ou cela bloque l’expansion du Codex.
A vous donc de prévoir la pose des cartes de manière à ce qu’elle ne nuise pas à l‘élaboration d’une future figure qui correspondrait à un objectif à atteindre. Le jeu commence à prendre un peu de sa saveur….
Mais l’auteur ne s’est pas arrêté là, il décuple ce délicieux voluté tactique en intégrant dans les coins des cartes diverses ressources que l’on peut comptabiliser tant que ce coin n’est pas recouvert ; c’est ingénieux et parfois très énervant. Les ressources disponibles appartiennent à 4 catégories de règnes du vivants chacune représentées par un pictogramme (tête de loup, papillon – normal pour Bombyx -, feuille et champignon). Ces ressources ont un double intérêt, elles permettent de satisfaire certains objectifs qui rapporteront des points à la fin. Par exemple avoir une série de 3 ressources d’un même type dans son codex (je rappelle que cela correspond à l’ensemble des cartes posées devant soi).
Et ces ressources permettent également de satisfaire les conditions de pose des magnifiques cartes Dorure qui rapportent quant à elle des points instantanément. Parlons rapidement de ces cartes qui portent vraiment bien leur nom. On se plaira à les faire briller en jouant avec la lumière ; elles rapportent des points au moment où on les pose. Cependant il faut avoir certaines ressources visibles sur les cartes déjà posées devant soi pour pouvoir les jouer.
Les cartes Ressource vont, quant à elles, permettre de rendre disponible ces ressources une fois posées et elles autoriseront la pose de certaines cartes Dorure.
Par exemple, on ne pourra poser une carte Dorure que si 3 ressources champignons sont visibles, si c’est le cas le joueur avancera son pion de 3 cases (les conditions et les points rapportés sont inscrits sur la carte de façon très explicites).
Certaines cartes Dorure ont des mécanismes plus époustouflants : Par exemple, une d’elles rapporte deux points si elle couvre un coin d’une carte, 4 points si elle couvre 2 coins de cartes différentes et 6 points si elle en recouvre trois (c’est le maximum de point que l’on peut comptabiliser en un coup sur la piste de score). A vous de vous prévoir la configuration requise, pour ramasser le pactole. C’est très astucieux, de toute beauté et tellement jouissif lorsqu’on y parvient…
Encore un détail important qui révèlent une fois encore l’ingéniosité de l’auteur : vous pouvez poser les cartes Ressource ou Dorure sur la face recto OU verso.
Sur sa face recto, on y retrouve les conditions de pose, les points qu’elles peuvent rapporter et les nombreuses ressources qu’elles proposent. Par contre sur cette face, souvent, certains des coins ne donnent pas la possibilité d’être couverts par la suite.
Sur la face verso, tous les coins seront disponibles mais en contrepartie, une seule ressource sera disponible (elle est dessinée au centre de la carte) mais cela durant toute la partie car il sera impossible de la recouvrir (et ça peut toujours servir, conseil de l’auteur ;-)). Cette face ne rapporte jamais de points.
Après avoir posé une carte dans son aire de jeu, le joueur prend une nouvelle carte de son choix parmi les quatre posées face visible à côté de la pioche (on dévoile alors une nouvelle carte pour remplacer celle qui vient d’être prise), ou il peut prendre la première carte (face cachée) d’une des deux pioches des paquets (Dorure ou Ressource).
Et c’est au tour du joueur suivant….
Fin de partie :
La fin de partie est déclenchée dès qu’un joueur atteint ou dépasse 20 points sur la piste de score (les points des objectifs ne sont alors pas encore comptabilisés). La partie peut être déclenchée également s’il n’y a plus de cartes à prendre sur la table.
Dans tous les cas, les joueurs terminent le tour en cours, puis chacun joue une dernière fois. C »est je trouve ce qui se fait de plus en plus dans les fins de parties, et j’apprécie cela. La partie est alors terminée.
Décompte des points :
On ajoutera aux points déjà présents sur la piste de score les points rapportés par les objectifs communs et secret de chaque joueur. Un objectif peut être réalisé plusieurs fois, mais une carte posée ne peut compter qu’une fois par carte objectif.
Est-ce que c’est bien ?
Ce que j’ai ❤️
- Cogiter autant avec seulement 3 cartes en main.
- Des pictogrammes sur les cartes très simples à comprendre.
- Le matériel : La beauté et la qualité des cartes Dorure. Il fallait bien sûr une belle boite en métal pour les protéger et les emmener partout….
- La course des pions sur la piste de score qui amène une agréable dose de tension dès le début de la partie.
- Les choix à faire entre les stratégies de pose à court ou long terme.
- On ne voit pas le temps passer, les tours s’enchainent avec beaucoup de fluidité.
- Un jeu simple, accessible dès 7 ans (même si le thème n’est toutefois pas très attirant pour cette catégorie d’âge)
- L’ensemble des mécaniques, ingénieusement bien ficelées et présentées de manière simple et très compréhensible (quand une petite de 7 ans a tout bien compris, c’est un gage de simplicité).
- Des parties pas trop longues et assez variées (on peut facilement en faire deux de suite).
- Le côté très addictif.
Ce que j’ai 💔
- Quand on se retrouve à ne plus avoir la possibilité de piocher une couleur de cartes dont on a besoin (pour l’objectif secret).
- Un jeu qui graphiquement plaira davantage aux grands qu’aux plus jeunes.
- On confond parfois le bleu et le vert dans les petites cases des cartes objectifs.
- Le manque d’interaction entre joueurs. A part prendre une carte dont un adversaire a besoin, on ne peut vraiment pas embêter les autres joueurs.
Design
Au premier abord, la direction artistique de Codex Naturalis interroge, étonne. Il faut dire que les illustrations interpellent mais collent parfaitement au thème. Un vrai petit travail d’enluminure et donc de mise en lumière avec les cartes Dorure qui sont du plus bel effet. Le design est assez sobre mais très coloré (4 règnes, 4 couleurs).
Qualité du matériel
Les cartes de petite taille sont de très bonne facture, les petits jetons de scoring sont en bois et le plateau est en carton très épais. Le jeu est de petit format, présenté dans une belle boîte en métal, la fameuse boîte métal de belle qualité de la collection Bombyx, embossée, colorée, dorée. Que du bon matériel !
Thème
Le thème est autant mystérieux que le choix de la direction artistique : poursuivre le travail d’un illustre prédécesseur, un moine enlumineur, dans sa tâche de recensement de toutes les espèces vivantes dans la forêt primaire ; et consigner ce travail dans un codex, c’est à dire un cahier formé de pages manuscrites reliées ensemble en forme de livre. Cet ancêtre du livre moderne a été inventé à Rome et s’est répandu à partir du Ier siècle, pour progressivement remplacer le rouleau de papyrus (le volumen). De prime abord, faire le moine enlumineur, rien de bien transcendant… et pourtant ! Lorsque l’on se plonge dans une partie, le jeu dévoile alors toute sa splendeur.
Donc un moine, un codex, de l’enluminure, la quête de 4 espèces. On pourrait vite oublier le magnifique thème pour s’attacher davantage aux mécanismes et aux stratégies qui permettent de scorer. Pourtant les dorures, les couleurs, les illustrations et les pictogrammes sur les cartes nous le rappellerons régulièrement même si les cartes en question ont loin d’avoir l’air de feuilles parcheminées. Donc cette histoire de codex et de recensement d’espèces colle pourtant bien avec la mécanique de jeu.
L’auteur Thomas Dupont nous en dit plus sur son petit jeu.
Mécanique
Tout se joue au niveau du choix de pose en lien avec les objectifs de scoring immédiat et de fin de partie. Vous allez devoir créer une composition de cartes liées entre elle par leurs coins qui permettront de marquer des points sur le court et le long terme.
Pour la pose, on peut faire le lien avec un jeu comme Honshu mais qui ce dernier n’a pas la même contrainte de pose puisque c’est un jeu de placement et d’expansion de territoires (on peut y recouvrir très largement une carte). Il se rapproche davantage du dernier jeu de Superlude en Print & Play Motu où il faut également souvent recouvrir – donc sacrifier – une ressource pour pouvoir placer sa carte.
Voici les mécanismes que l’auteur a ingénieusement imbriqués les uns dans les autres :
- Réaliser des objectifs (une ou plusieurs fois) en poser des cartes permettant d’accumuler des ressources ou de réaliser une figure de 3 cartes.
- Lors de la pose d’une carte, gérer les coins vides qui ne permettraient pas de prolonger une figure dans une direction.
- Ne pas couvrir les coins d’une carte renfermant des ressources qui contribueraient à l’atteinte d’un objectif ou qui serait indispensable à la pose d’une prochaine carte Dorure. On peut parfois le faire, mais à vous de calculer les éventuels bénéfices d’un sacrifice.
- Choisir entre les petits scores réguliers ou s’attarder sur des stratégies à plus long terme qui rapportent plus de points mais avec des conditions plus contraignantes. En fait, il faut forcément faire un peu des deux pour pouvoir bien scorer.
- Prendre le risque ou non de piocher à l’aveugle une carte d’une couleur qui nous convient mais que l’on n’est peut-être pas en mesure de poser en raison des conditions qu’elle impose.
- A l’approche des 20 points, ne pas conclure trop vite la partie si on a encore des possibilités de satisfaire les exigences d’un objectif… et risquer de se faire coiffer sur le poteau par ses adversaires qui, eux, ont pu réaliser leur objectif secret.
Le part d’aléatoire lors de la pioche des cartes vient pimenter le tout, c’est toujours énervant de voir une carte importante nous passer sous le nez, à l’inverse, comme c’est agréable de voir le joueur précédent dévoiler la carte que l’on attendait impatiemment.
Attention cependant, de ne pas faire glisser les cartes du paquet de la pioche. En effet, cela dévoilerait la couleur des cartes suivantes et pourrait nuire au bon fonctionnement du jeu surtout dans une configuration à deux joueurs.
Simplicité des règles
Les règles sont claires et compréhensibles, très bien expliquées. C’est un jeu dans lequel, on regarde les règles uniquement lors de la première partie. Les cartes objectifs ne sont pas expliquées une à une mais le détail des catégories d’objectifs suffit à leur compréhension.
Mise en place / Rangement
Le jeu peut être installé en 2 minutes à 2 joueurs. Il faut juste bien séparer les cartes Dorure des cartes Ressources. Un petit insert en origami pourrait être utile à bien caler les cartes plutôt que de mettre des petits sachets plastiques.
Conclusion
Codex Naturalis est savoureux, simple, rapide et très stratégique à la fois. Chacun y élabore devant lui un petit casse-tête de magnifiques cartes dorées ou cartes ressources dont la faible complexité de pose (qui nous bloque ou nous ouvre le jeu) nous permettra de remplir certaines conditions d’objectif. Du calcul, de l’aléatoire mais pas trop (on connait la catégorie de carte qui va arriver) et toujours une possibilité de pose en fonction du recto mais surtout – à ne pas négliger – du verso de la carte. On se dit souvent « MAIS MINCE (pour être poli), mais qu’est-ce que je suis c… d’avoir posé cette carte à cet emplacement ! »
Au départ, le thème n’est pas attirant pour tout le monde quoique – un moine enlumineur qui recense des espèces vivantes de la forêt primaire pour continuer un codex secret – mais c’est franchement une belle réussite ; c’est un jeu plein de saveurs, de mécaniques subtiles harmonieusement agencées ; un jeu qui m’a complètement conquis par sa simplicité. Il manque juste un soupçon d’interaction supplémentaire entre joueurs (on ne peut que prendre à son tour de jeu une carte convoitée par les autres joueurs).
Si vous aimez cogiter pour choisir les bonnes cartes, les poser au meilleur endroit, préserver vos ressources et mener à bien des objectifs à court et long terme, tout cela en faisant la course avec vos adversaires sans pour autant qu’ils vous embêtent de trop… ce jeu est pour vous et vu le prix, la qualité du matériel minimaliste et la belle boîte métal, il ne faut pas hésiter ….
Testeurs : Fab, Jules, Sandrine, Val, Laurent