[Independence Day] Helvetiq, des livres et des jeux au pays du chocolat
Dans la série Independence Day qui se veut être une présentation non exhaustive des éditeurs francophones, nous avons le plaisir de recevoir Hadi Barkat, fondateur de la maison d’édition Helvetiq. Il vient nous parler de la genèse, de l’évolution et de l’actualité ludique de cette maison d’édition suisse : avec actuellement les récents Kompromat et Pas de pitié pour les monstres.
Mais qui « est » Helvetiq ? De quand date les débuts de cette maison d’édition ?
Fondée en 2008, HELVETIQ est une maison d’édition internationale basée à Lausanne et à Bâle en Suisse. Nous publions des jeux distribués dans 30 pays – et des livres aussi. Notre équipe comprend douze professionnels. Nous sommes fiers de nos neuf langues parlées et de l’ouverture sur le monde qu’elles nous offrent.
Peux-tu me parler de la genèse d’Helvetiq ? Quelles sont les raisons, motivations ou opportunités de création d’un éditeur comme Helvetiq ?
Tout a commencé lors de ma procédure de citoyenneté à Lausanne en Suisse. Je cherchais à me préparer pour les examens de manière pas trop scolaire. Je n’ai rien trouvé et décidé de créer ce dont j’avais besoin. C’est le jeu HELVETIQ.
Je connaissais un auteur de jeu, Sébastien Pauchon (l’auteur entre autres de Jaipur , Jamaica ou Corinth). Je lui ai rendu visite dans sa ludothèque privée de Vevey pour voir si l’idée avait des ailes. Cinq minutes plus tard, nous gribouillons sur le papier et tout s’est envolé.
Le design du jeu a été confié à Seb, Malcolm Braff et Bruno Cathala. Le graphisme à Karen Ichters. J’ai appris à éditer pour ma part. Parution en Suisse romande fin octobre 2008. 5000 exemplaires vendus en cinq semaines ! C’était le carton, totalement inattendu. L’histoire a plu. Le jeu était top. Le graphisme détonnait et permettait d’entrer en librairie, au musée, etc.
De cette histoire de fondation, nous tirons toujours beaucoup d’inspirations et de motivations. Authenticité. Indépendance. Singularité. Design. Versatilité dans la distribution et la rencontre du public. Nous tirons aussi une bonne compréhension du joueur occasionnel même si dans l’équipe nous sommes plutôt des joueurs passionnés.
Sur une note un peu plus perso, j’ai une formation d’ingénieur polytechnique et une autre en gestion de la technologie. J’ai travaillé dans des domaines fabuleux que j’ai délaissé pour l’édition par curiosité et par conviction qu’il ne faut pas toujours suivre le chemin tout tracé ou prescrit.
Lorsque j’avais 11 ans, j’ai essayé de monter un journal dans mon école à Alger. Flâner dans les librairies, sentir l’encre et le papier, c’était une de mes passions. C’est peut-être tout cela qui est revenu au moment de bifurquer.
Vous éditez également des livres, pourquoi ce choix ? Quelle est la ligne éditoriale de la partie livres de votre maison d’édition ?
Nous aimons le livre. Nous aimons ce que cela permet et véhicule.
En plus des livres de non-fiction pour adultes, nous publions de la littérature jeunesse.
Le grand-écart ne s’arrête pas là, puisque nous publions systématiquement nos livres en français et en allemand, parfois en anglais aussi. C’est un métier que nous avons appris en faisant et nous avons développé une bonne infrastructure pour bien le faire. Nous commençons même à croiser les compétences avec des jeux comme Pas de pitié pour les monstres ou Les histoires les plus courtes du monde.
Parmi nos livres, un certain Randos Bière en France, en Belgique et en Suisse.
Ornithorama est un album pour accompagner les premiers pas des ornithologues en herbe.
Ting! est un docu fiction visant à éveiller les consciences au marketing et à tout ce qui est fait pour nous influencer sans vouloir peindre le diable partout.
Qui compose son équipe ? Quel est le rôle de chacun d’eux et peux-tu nous dire en quoi ces rôles consistent ?
Notre équipe comprend les pôles classiques d’édito, de vente, de production et de gestion de projet. A cela s’ajoutent deux graphistes à l’interne pour plus d’agilité et de cohérence.
Nos profils varient : hôtellerie, sciences po, édition, muséologie, lettres, ingénierie, art & design … une diversité précieuse. Il y a une majorité féminine, ce qui n’est pas si commun en édition de jeux. Ce n’est pas par design, mais par recrutement des meilleur.e.s.
En tant que directeur, il me tient à cœur d’offrir un cadre de travail dynamique et bienveillant. Tout n’est pas parfait chez nous. Il nous arrive de faire le projet de trop et de nous sentir sous trop pression, mais on peut compter les uns sur les autres et c’est un apport énergétique indispensable.
Finalement, nous avons une équipe jeune, multiculturelle, douée et motivée. Quand on me demande pourquoi venir bosser chez nous, je parle de l’équipe en premier.
Où travaille l’équipe de Helvetiq?
Notre bureau à Bâle est au cœur du quartier universitaire. A Lausanne, nous partageons un bureau avec une maison d’édition littéraire dans l’ancien quartier d’entrepôts appelé Le Flon.
En 2020, nous travaillons beaucoup à la maison comme beaucoup. Nous avons fait 3442 heures sur zoom (infime exagération) et on s’habitue aux téléconférences en chaussons.
A moyen terme, cela nous plairait et nous aiderait d’avoir une présence à Paris et à Berlin. Rien de bling, mais une présence active lorsque notre taille le justifiera. Ce sera un défi intéressant pour certain.e.s au sein de notre équipe.
Comment a été choisi le nom de ta maison d’édition ?
Le nom du premier jeu est devenu le nom de la maison d’édition. Pas très planifié tout cela.
La Confédération helvétique, c’est un des 9 noms du pays (!). HELVETIQ allait bien pour un jeu sur la Suisse, avec le IQ (QI) qu’on pouvait booster grâce au jeu.
Quelles sont ou ont été les principales difficultés rencontrées à la création ?
Nous ne savions rien du marché du jeu et encore moins de celui du livre, mais nous avions la volonté d’apprendre et de tracer notre sillon.
Il faut dire que nous avons surtout eu une chance incroyable de signer un best-seller d’entrée.
Quelle est la ligne éditoriale choisie par Helvetiq ? Comment se font les choix des jeux, des auteurs et illustrateurs ?
Nous n’avons pas et nous ne souhaitons pas de ligne éditoriale. Nous sommes éditeurs d’idées et d’auteurs. Ce qui ne nous empêche pas de travailler beaucoup nos gammes. La gamme Pocket avec Bandido et Bandida. La gamme jeux en bois à règles modernes avec TeamUP, Staka et d’autres à venir. La nouvelle gamme After Dinner avec Omerta et Kompromat. Les gammes aident le public à se repérer. Quand on a Bandido et qu’on l’aime beaucoup, on a envie de découvrir le reste. Les gammes, c’est aussi fort que les marques.
Quels sont les choix de fabrication, les impératifs, les impondérables, les contraintes de fabrication à respecter ?
Nous essayons autant que faire se peut de fabriquer en Europe pour l’Europe. Nous fabriquons en Chine pour l’Asie et les USA. Le travail en gamme impose des contraintes qui paradoxalement nourrissent notre créativité et celle de nos auteurs.
Comment Helvetiq se fait-il le mieux connaître ?
Par ses jeux !
Notre chaîne Youtube présente des video-règles en stop-motion assez emblématiques.
Nous sommes présents sur les réseaux et c’est un moyen simple et efficace pour rencontrer des passionnés et rester en contact avec eux.
Nous sommes présents sur les plus grands salon internationaux. Pour la présence sur le terrain tout au long de l’année, nous passons la main à nos distributeurs.
Avec l’annulation de la plupart des festivals, comment assurez vous votre communication envers les acteurs du marché ludique et le grand public ?
Nous avons considérablement augmenté notre production de vidéos et notre présence sur les réseaux. Je peux vous citer trois développements visibles :
- La publication du print and play Bandido Covid Edition qui a connu un succès fou
- La création de notre chaîne twitch HelvetiqLive
- Le portage d’un très grand nombre de nos jeux sur tabletopia
Les chroniqueurs et chroniqueuses représentent des relais importants. Nous continuons le même travail avec eux.
Quels circuits de distribution ont été choisis ou privilégiés ?
Nous sommes présents dans 30 pays sous notre propre marque grâce à des distributeurs qui nous font confiance et qui nous suivent au fil des nouveautés. Wilson Jeux en France. Geronimo en Belgique. Ilo 307 au Canada.
Nous gérons notre export nous-mêmes depuis le début et nous adorons cela.
Quelle relation Helvetiq a-t-il avec les auteurs et illustrateurs ?
Excellentes évidemment 🙂
Il faudrait les questionner aussi à ce sujet à part ça.
Nous échangeons pas mal avec les auteurs. Nous travaillons main dans la main pour concevoir le meilleur jeu possible. Nous aimons quand ils et elles s’impliquent dans la communication aussi. Il ne s’agit pas de faire le show, mais surtout de partager l’enthousiasme pour l’idée et le projet avec le public.
Comment l’éditeur s’intègre-t-il dans la conception des jeux qu’il édite ? A quelle étape joue-t-il un rôle essentiel ?
Pour qu’on signe un projet, il faut que le cœur du jeu soit là. Notre rôle consiste ensuite à tester avec un œil très critique et à apporter des solutions si nécessaire en accord avec les auteurs. Ensuite, thématiser, produire de manière intelligente, promouvoir.
Toutes les étapes sont essentielles.
Je ne suis pas sûr que tous les éditeurs répondent de la même manière. Chacune et chacun met le curseur là où ça lui convient le mieux.
Combien de temps prend en moyenne l’édition d’un jeu ?
Une bonne année. Toutefois, nous commençons de plus en plus à signer des jeux qui paraîtront dans deux ans ou plus pour une question de calendrier. Auteurs, armez-vous de patience une fois que votre jeu est signé !
Parlons des jeux édités par Helvetiq.
Peux tu nous présenter Kompromat, votre dernier jeu?
Il utilise une mécanique de blackjack que beaucoup connaissent (le plus proche de 21 l’emporte) et la magnifie par un tir à la corde entre deux joueurs. Le suspens est tenu jusqu’à la fin surtout que la défaite immédiate est possible. C’est un superbe jeu à deux.
Pour la petite histoire, Kompromat est un jeu signé quasiment sur place lors de Essen 2019. Étant grand amateur de Lost Cities de Knizia, j’ai trouvé des sensations ultra plaisantes et des dimensions supplémentaires par rapport à Lost Cities. Chaque joueur commence avec les mêmes cartes et on acquiert des aptitudes au fur et à mesure pour déployer une stratégie et équilibrer la chance.
Les ingrédients sont là pour un jeu à ressortir souvent après le dîner.
Si je ne me trompe pas, votre premier jeu est MatchMaster. Pourquoi celui là ? qu’a-t-il de particulier ?
Pas tout à fait juste. La gamme Matchbox est notre premier export, avec MatchMaster, SixStix et WonderWord comme trilogie de départ. La gamme a connu 7 titres et s’est vendue des Etats-Unis au Japon en passant par la Scandinavie.
MatchMaster est celui qui a allumé la flamme de la gamme. Il est inspiré d’un jeu de pli danois que nous jouions chaque année en famille à Noël (une partie de ma famille est danoise). C’est Pirate Bridge. Il se joue avec des allumettes et c’est comme cela que les contraintes de gamme sont nées : des cartes + des bâtonnets pour faire office d’allumettes + des boîtes à tiroir.
Travailler en gammes a été une volonté et une intuition dès le début.
Peux tu nous parler de vos best-sellers: Bandido et Bandida ? Pourquoi avoir voulu créer ce dernier ?
C’est un coopératif où on essaye de bloquer les tunnels creusés par un fugitif. Si on a réussi à tout bloquer avant la fin de la pioche, on a gagné. Mais c’est si dur de gagner … et cela plaît beaucoup.
Bandido est la locomotive de la gamme Pocket. C’est aussi le premier. Signé sur place lors d’une rencontre avec Martin Nedergaard Andersen à Copenhague du temps où j’habitais là-bas.
Bandida nous a été inspiré par une chroniqueuse, Girl dot Game aka Tatiana. Cela apporte une extension de l’univers, et trois modes de jeux nouveaux, y compris à retourner sa veste et à aider Bandida à s’enfuir.
Peux tu nous parler de Pas de Pitié pour les monstres, un jeu pour enfant particulièrement original ?
De Jérôme et Emilie Soleil, avec les illustrations de Kasia Fryza.
Super projet arrivé chez nous sous forme de “manuscrit” l’album jeunesse. Un livre donc. On trouvait l’objet trop innovant pour ne pas tenter d’en faire un jeu.
Le concept vite compris. La boite devient maison en 3D où on passe de salle en salle. Le jeu est coopératif et il faut dégommer les monstres avant la fin de la pioche de jetons. Un jeu d’adresse avec des sorts lancés par les monstres pour rendre cela encore plus rigolo.
Les enfants adorent. Les premiers retours sont excellents. On croise les doigts pour que ce jeu ait le succès qu’il mérite.
Souhaites-tu développer l’offre de jeux pour enfants dans votre catalogue ?
Et comment !
Pocket c’est intergénérationnel dès 6 ans déjà. Avec Pas de Pitié pour les Monstres, on descend en âge et on a la ferme intention de continuer avec notre pâte propre. Il y a de l’espace de création.
Peux tu nous parler de Captain Bluff ?
L’auteur est Torsten Landvogt. Nous le rencontrons depuis des années à Nuremberg et Essen. C’est un jeu de défausse et de bluff. Le thème est inspiré par une histoire réelle.
Avez-vous déjà été tellement frustré.e au travail que vous avez eu envie d’y mettre la pagaille ? Tay Boon Keh, bagagiste à l’aéroport de Singapour-Changi, ne s’est pas gêné. Mécontent d’avoir à transporter fréquemment des bagages à la seule force de ses bras, il décide un beau matin de les envoyer vers la mauvaise destination, créant un véritable chaos. Captain Bluff vous propose de vous glisser dans la peau de ce bagagiste !
Vos jeux sortent souvent en Français, Anglais et Allemand. Est-ce dû au fait que vous soyez Suisse? Assurez vous vos traductions vous mêmes?
Pour le marché suisse, il nous faut 4 langues en incluant l’italien aussi. Nous exportons nos jeux dans beaucoup de pays. Nous nous occupons des traductions avec l’aide d’intervenants externes.
As-tu une ou deux anecdotes liées à l’édition de ces jeux à nous livrer ?
Nous avons commis des erreurs comme imprimer les cartes de MatchMaster avec le dos de SixStix et vice-versa. A chaque réception de jeu d’usine, on retient notre souffle 🙂
Nous avons appris à mettre en place certaines pratiques, à approcher la complexité avec décontraction et la facilité avec le plus grand des sérieux.
Deuxième anecdote, le jeu TeamUP créé avec Sébastien Pauchon parce qu’une mini-palette portrait ma tasse de café sur le bureau pendant deux ans. Les jeux naissent parfois comme cela aussi.
Quels sont les projets à plus long termes ?
Nous allons publier un jeu de Cédric Martinez qui nous emballe. Une pépite ludique. Ce sera d’abord sur Kickstarter début 2021. Nous voulons tenter l’aventure pour la proximité qu’elle nous offrira avec les joueurs.
Comment vois-tu l’évolution du marché de l’édition du jeu ?
Très grande question. Il nous faudrait une journée pour parler de tout. Pour rester bref, je suis très optimiste. La dynamique est excellente. Il reste tant de choses à inventer et à jouer, tant de monde à attirer avec le jeu.
As tu un scoop à nous partager ?
Allez, la gamme Matchbox va connaître un revival en 2021 des meilleurs titres dans un format plus petit, pour petits budgets et petites tables. Matchbox Mini en somme.
Enfin pour conclure, qu’est-ce qui selon toi fait l’originalité d’un éditeur comme Helvetiq ?
Nos gammes sont multiples et clairement définies. Notre design est épuré et reconnaissable. Notre présence dans le livre et le jeu nous donne des atouts que nous commençons à jouer avec grande curiosité.
Merci beaucoup Hadi d’avoir répondu à ces questions ! Longue vie à Helvetiq !