[Le point sur les J] Un éditeur, pour vivre, doit-il avoir une locomotive ?

Pour écouter le podcast cette émission de C’Ludik, c’est par ici => https://www.station-millenium.com/replays/ekko-le-point-sur-les-j/

Matthieu Dupuis et Ludovic Chatillon

Définition

Définissons ensemble ce qu’est qu’une locomotive dans le jargon économique.

Une locomotive est une personne ou un objet qui joue un rôle moteur dans un secteur particulier. Ici dans le domaine du jeu de société, on appelle locomotive un jeu dont les ventes sont très hautes et pendant une très longue période.

7 Wonders ou les Aventuriers du Rail pourraient être définies comme des locomotives chez leur éditeur respectif (NDLR : Repos Production et Days of Wonder).

Aventuriers du rail, locomotive, vous l’avez ?  …

Des chiffres à l’appui

Selon le site Consoglobe, il se vend chaque seconde en France, environ 4 boites de jeux de société, soit 112 millions par an dont environ 1000 nouveaux jeux et pour un chiffre d’affaires de 325 millions d’euros (2012).

D’après la UEJ (Union des Editeurs de Jeux), il existe actuellement en 2024, 194 éditeurs de jeux de société en France et aux alentours, dont 68 en statut d’auto-édition.

Il existe aussi 15 distributeurs, plus ou moins gros et les différences sont énormes.

Le marché des jeux de société en France, c’est 112 millions de boîtes vendues chaque année dont 2,5 millions de jeux dits « modernes », pour un total de 325 millions d’euros de chiffre d’affaires soit 10,4 % du marché des jouets estimé à 3,1 milliards d’euros (2012).

Selon le blog Gus & Co :

  • Depuis 5 ans, ce sont plus de 3 500 nouveaux jeux de société qui sortent chaque année sur le marché
  • En 2022,
    • L’Amérique du Nord détenait 28,8% de parts de marché, soit le plus gros marché au monde
    • L’Asie-Pacifique constitue le second marché avec environ 5,38 milliards de dollars de revenus
    • L’Europe est le troisième marché avec environ 4,37 milliards de dollars de revenus

Source : https://gusandco.net/2023/11/22/statistiques-jeux-de-societe-2023/

Pourquoi toutes ces données de macroéconomie ?

Eh bien pour montrer que le marché français ne suffit plus à lui-même et que comme dans tous les marchés économiques, maintenant pour vivre, les éditeurs comme toutes les entreprises de loisir, doivent raisonner en termes de marché mondial.

Et pour pouvoir franchir les frontières de son pays, ou de la barrière de la langue, par exemple pour le marché français, on compte aussi la Suisse et la Belgique, car européens et francophones, il faut pouvoir exporter.

Et export en jeu de société signifie souvent grosses ventes et donc, soit le jeu plait sur le papier et le partenaire international responsable de la localisation est trouvé avant la sortie du jeu, soit, et c’est largement le cas, le partenaire va attendre de voir comment le jeu se vend sur son marché pour ensuite décider une localisation ou non.

Et ce dernier détail peut prendre 1 an ou plus !

Dernier cas de figure, les gros distributeurs ont des filiales sur d’autres marchés et n’ont pas besoin d’attendre la signature d’un contrat (Asmodée), détiennent des accords signés sur du long terme.

Quoiqu’il en soit, les blockbusters ludiques s’exportent + facilement, comme les Unlock, Aventuriers du Rail ou autre Zombicide, car le simple fait que les jeux soient installés, et qu’il y ait une forte communauté autour, permet de faire sauter les doutes sur les risques du retour sur investissement.

Alors comment faire si un éditeur n’arrive pas à sortir son jeu phare ?

  • Si l’éditeur est un studio d’un grand groupe, alors c’est plus facile, car dans un premier temps il bénéficiera des accords avec les distributeurs étrangers qui sont parfois même des filiales. Mais si plusieurs jeux ne marchent pas, attention car un studio peut aussi être revendu ou disparaitre totalement de la carte, comme Pearl Game. D’ailleurs pour qu’un éditeur rejoigne Asmodée ou Hachette, les deux mastodontes du secteur ludique, il faut au préalable qu’il soit rentable et donc qu’il ait déjà des assurances de revenus réguliers, entre autres.

https://www.hachette.com/edition-de-jeux

  • S’il est indépendant il va falloir qu’il ne quitte pas la vague de sorties annuelles et augmente soit son nombre de jeux, si sa structure lui permet, soit qu’il passe plus de temps à travailler sur ses jeux, pour en sortir moins, mais en mieux ! On peut citer Bombyx ou Catch Up Games par Exemple. Le problème c’est qu’il faut de la trésorerie pour pouvoir travailler longtemps sur un jeu en assumant de longues périodes sans entrée d’argent mais en assumant les divers frais, comme les salaires, les frais fixes, les festivals etc etc…

Pas facile tout ça ! Et souvent il ne faut pas se louper sur la mise sur le marché de son premier jeu, d’où le choix d’un bon distributeur qui vous assurera une première implantation satisfaisante.

Dès l’implantation le jeu peut mourir prématurément, comme au cinéma où les chiffres du jour de la sortie d’un film sont très importants, la semaine de sortie du jeu donne un bel indicateur sur sa vie future.

D’ailleurs maintenant même les précommandes des boutiques sont analysées, pour savoir quelle tête aura l’implantation du jeu.

Car oui plus le jeu est trouvable en boutique, plus il a des chances d’être vu, et d’être vendu, mais pour cela il faut aussi que les ludicaires s’en emparent et puissent le vendre correctement.

Ce qui nécessite un bon travail des commerciaux du distributeur ou de l’éditeur sur les salons professionnels.

Le problème dans ce cas, c’est combien de temps l’éditeur peut tenir en surfant sur les ventes d’un jeu qui a correctement marché (ce qui signifie qu’il a fait des bénéfices dessus), mais sans que cela soit un carton total ?

La question est complexe et chaque réponse sera différente en fonction de la situation, ce qui est sûr cependant, il ne suffit pas de s’y connaitre en jeu de société pour être éditeur de jeux, et avoir des compétences en comptabilité et en gestion sera de toute façon un atout.

Quid des médias ludiques ?

L’éditeur peut aussi compter sur les influenceurs, ou autre presse ludique, afin de pouvoir multiplier sa communication à moindre coût.

Car oui en France, contrairement aux Etats Unis, très peu de médias ludiques sont professionnels, c’est-à-dire que leurs revenus sont déclarés et ils en vivent directement ou partiellement, et que la très grande majorité crée du contenu gratuit pour les éditeurs/distributeurs.

La course à l’auditeur, likeur, commentateur ou viewer est donc de mise dans le secteur de la presse ludique.

Quid du rôle du distributeur ?

D’ailleurs j’ai toujours trouvé cela étrange que la charge totale de la communication d’un jeu ne soit pas déléguée totalement au distributeur qui est déjà censé vendre le jeu aux revendeurs, et qui devrait avoir systématiquement une cellule communication efficace, comme Asmodée ou Blackrock Games Export.

D’ailleurs des choses évoluent, par exemple les studios majeurs d’Asmodée regroupent certains domaines comme la communication et la gestion de la presse ludique, afin de maitriser un peu plus, et c’est une bonne chose à mon avis.

Ce qui signifie aussi que l’éditeur privilégiera très souvent un média avec une forte audience, quel que soit son ton ou son modèle de communication à la manière de présenter son jeu.

La visibilité au travers des récompenses

Autre facette de transformation d’un jeu lambda en locomotive :  les prix ludiques.

Un peu moins vrai pour l’AS d’Or (France) que pour le Spiele des Jahres (Allemagne) mais dès qu’un jeu gagne un prix de cette envergure il parait évident que le jeu aura une trajectoire commerciale différente de ces concurrents.

https://www.festivaldesjeux-cannes.com/fr/festival-label-as-d-or-jeu-de-l-annee

https://www.spiel-des-jahres.de/en

L’exemple de Colt Express, nous montre clairement qu’un « petit » éditeur comme Ludonaute a réussi à vivre sur le succès et les ventes du jeu pendant quelques années et en confort pouvoir sortir des jeux un peu plus de niche (et même certains avec moins de succès).

L’assurance de ventes et de rentrées d’argent régulière offre un tapis confortable en termes de création et édition ludique aux éditeurs, qui rêvent tous de sortir un jeu qui va transformer leur quotidien et leur niveau de trésorerie !

Mais tout le monde n’a pas la chance de gagner un prix ludique prestigieux comme ces deux-là, et que nous, simples joueurs, avons tendance à minimiser l’impact financier des prix majeurs.

A se demander même si les membres des différents jurys ont eux aussi cela en tête quand ils font leurs choix finaux ou bien juste le ludique est pris en compte.

Morale de l’histoire

Pourquoi donc ne pas tenter de toucher au Graal, et de mettre sur le marché une poule aux œufs d’or, une vache à lait, ou locomotive, qui permettra de vivre un futur plus ou moins proche de façon plus lisible et fluide ?

Et de nos jours la lisibilité du futur c’est quand même vachement important !

Retrouvez le podcast de cette émission en vous rendant sur le lien de C’Ludik – Station Millenium => https://www.station-millenium.com/replays/ekko-le-point-sur-les-j/

Hello asso

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