Auteur, carnet de bord #03 – Un jeu prend fin, un autre commence

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Etrange mois de mars. D’une oreille, j’écoutais les lointains flonflons du Festival de Cannes. De l’autre, j’entendais les échos sinistres de la guerre aux portes de l’Europe, les rapports alarmants du GIEC et l’avancée consternante de la campagne présidentielle. En cette période de doutes (de drame pour certains), je me demande dans quel pays – et dans quel monde ! je reviendrai cet été. A travers cette incertitude, il fallait quand même m’employer, une tâche après l’autre, à faire avancer mes projets dans l’espoir qu’ils puissent aboutir un jour.

Cela semble si dérisoire, parfois.

Et pourtant les choses avancent. Ce FIJ qu’on attendait depuis deux ans était l’occasion de présenter Caravanes au public, et plus important encore aux boutiques françaises et aux distributeurs partenaires avant sa sortie. Cette rencontre est un moment crucial pour l’avenir d’un jeu, car elle détermine l’enthousiasme et l’énergie qu’ils mettront à le porter auprès de leur clientèle. D’après les échos que j’en ai eu, le scénario a été très apprécié des joueurs et les distributeurs, rendus confiant par les bonnes ventes du reste de la gamme, on fait des commandes initiales conséquentes : on parle de 20 000 boîtes, ma plus grosse sortie à ce jour.

Pour faire monter la sauce BLAM a produit un magnifique teaser où j’ai pu entendre avec émotion le texte de la première carte – mon texte – lu par un véritable acteur sur fond d’aquarelles mouvantes.

Un vrai trailer… ça claque ou ça claque ?

Caravanes est arrivé en boutique le 8 avril. J’espère qu’il plaira aux joueurs et que, en cette période de durcissement identitaire, il montrera à certains que le monde musulman est une tapisserie de peuples à l’histoire et à la civilisation complexe, et pas simplement « des bougnoules ».

« Dans le prochain épisode… »

C’est un bon moment pour dévoiler la suite pour Cartaventura. Depuis deux mois, nous étions en discussion avec Simon (l’éditeur) et Thomas (l’auteur à l’origine de la série) afin de déterminer le sujet du prochain épisode. Après avoir débattu plusieurs possibilités, la sélection s’est réduite à deux propositions. Pour chacune, Simon m’a demandé un story treatment, une proposition d’une à deux pages résumant l’intrigue, les mécaniques inédites propres à cet épisode, son découpage en actes et la distribution des fins possibles. Cela leur donnera un aperçu non seulement de quoi parle le jeu, mais surtout de comment il en parle – et de s’assurer que le joueur aura quelque chose d’excitant à vivre.

La proposition qui a été finalement retenue est celle du procès de Galilée par l’Inquisition. Cet événement, emblème du divorce entre sciences et religion en Occident, est également l’occasion pour le joueur d’explorer l’Italie du XVIIe siècle – une époque marquée par une épidémie de peste, une guerre qui secoue l’Europe et une crise économique majeure. Le mélange parfait pour rappeler au lecteur que tout ce que nous vivons à déjà eu lieu, différemment.

« Galilée, êtes-vous oui ou non un islamo-gauchiste ? » « Je refuse de répondre à cette question dénuée de réalité sociologique. »
– Galilée devant l’Inquisition, de Cristiano Banti

Le sujet est donc plus proche de notre époque et notre culture que Caravanes. Cela devrait me permettre de faciliter  – sinon de réduire – le travail de documentation nécessaire à l’écriture du scénario.

Un mot sur la documentation. Les recherches bibliographiques sont un aspect trop vite sous-estimé lorsqu’on s’embarque dans l’écriture d’une fiction historique (en tout cas si on veut le faire bien). Dans un contexte professionnel, j’essaye de garder la maîtrise de mon temps et de ne lire que ce qui m’est nécessaire au moment où c’est nécessaire. J’ai déjà fait plusieurs fois les frais d’un excès d’enthousiasme qui résulte en l’acquisition de livres rares et en journées de lecture assidue pour qu’au final le jeu ne se fasse pas. Ma culture personnelle en profite grandement, ma rentabilité d’auteur beaucoup moins.

Hors de question de m’embarquer dans un marathon de lecture tant que le sujet du scénario n’était pas gravé dans le marbre, donc. Pour réaliser ces story treatments, je me suis essentiellement reposé sur les connaissances qu’on pouvait acquérir avec des recherches sur le web. Le reste de mon programme de lecture attendra que je revienne en France.

Puis-je commencer à travailler avant d’avoir fait des recherches approfondies ? Oui. Je peux commencer à dégrossir la structure mécanique : établir le plan du scénario, réfléchir à comment le joueur passe d’un point à un autre, qui il rencontre, ce qu’il y fait. Surtout, je dois trouver des choix intéressants à lui proposer. Cette trame logique doit être rédigée pour être compréhensible et jouable. Mais à ce stade, un texte temporaire (placeholder) suffit. Ecrit à la va-vite, il peut aisément être remplacé par un contenu de meilleure qualité lorsque le  moment sera venu et qu’on est sûr que tout marche.

C’est donc ce que je suis en train de faire. Je viens de remettre à Simon et Thomas une version testable du premier acte de l’épisode, afin qu’il puisse se faire une opinion du fonctionnement de sa mécanique spécifique. En fonction de leur retour, il faudra peut-être chercher une autre mécanique, voir une autre approche. Nous verrons.

Mais… serait-ce un petit nouveau ?

J’avais prévenu que je ne suis pas très bon pour tenir mes bonnes résolutions sur mon nombre de projets en cours. En même temps, avec autant de projets soit finis, soit bloqués par le manque de ressources (testeurs, matos, etc.), ça laisse les mains libres.

Impressionné par les montagnes multicolores des paysages andins, la tentation m’est venue de faire un jeu où l’on empilerait des cartes colorées pour former des paysages en mille-feuilles. Oui, mais pourquoi faire ? Des points, bien sûr, mais comment ? Et puis des jeux de promenade qui terminent en salade de points, il y en a déjà un certain nombre (il faut passer derrière Tokaido, bonjour). Comment faire pour que celui-là apporte quelque chose d’intéressant ?

crédit photo : Le Routard

En plus de ça, je dois composer avec les contraintes de l’itinérance : le jeu doit être testable seul ou à deux, et se limiter à un matériel que je peux fabriquer avec du matériel accessible partout et transporter dans un coin de sac à dos. Rien de plus qu’un paquet de carte que je peux remplir à la main avec un crayon, donc.

J’ai déjà bricolé un premier proto qui m’a permis de voir que ma première idée n’était pas la bonne. Je vais bientôt en tester une autre version. Bref, le jeu se cherche encore. Il donnera peut-être un truc chouette, ou finira vite au fond d’une poubelle.

Et mes autres projets, dans tout ça ?

T-Rex

Pas d’avancée sur ce projet, et ça m’ennuie. Cela fait plusieurs mois que j’avais remis la version aux équipes de la Boîte de Jeu et d’Origames, sans avoir de retours. J’aurais pu continuer à faire des playtests (ou des simulations), mais sans savoir dans quelle direction l’orienter à quoi bon ?

Du coup j’ai recontacté les éditeurs pour leur demander où ils en étaient. Ils reconnaissent s’être laissés débordés (pour des raisons qu’il est difficile de leur reprocher) et ils vont se remettre dessus. J’espère que les choses avanceront mieux dans les mois à venir.


L’Or des Sirènes

Là par contre, ça bouge beaucoup. Depuis la réalisation du trailer du jeu, j’ai contacté quelques éditeurs dont la réputation des gammes familiales n’était plus à faire. Séduits par les mérites du jeu –et mes talents de vidéaste – certains m’ont demandé de pouvoir mettre la main sur un prototype.

C’est là que le bât blesse. Pour un jeu au matériel classique (disons un deck de cartes), il suffit parfois d’expédier un Print-n-Play aux éditeurs et les laisser réaliser le prototype eux-mêmes. C’est un exercice dont ils ont l’habitude. Mais lorsque le jeu utilise du matériel atypique et difficile à réaliser, comme c’est le cas d’ODS, ils préfèrent généralement s’éviter cette corvée. Je n’ai de toute façon pas envie qu’ils le fassent de travers et que cela gâche leur appréciation du jeu.

C’était donc à moi de m’y mettre. J’ai pu tirer profit d’une halte dans une résidence artistique où je participais à l’élaboration d’un livre. J’ai eu le temps de faire le tour de la ville pour trouver où me procurer le bon carton, les bons dés, les bonnes boîtes… Avec les outils trouvés à la résidence, je me suis improvisé mon petit atelier de découpe. Quelques jours et 350 pièces de carton plus tard, j’avais devant moi trois belles boîtes d’ODS flambant neuves, prêtes à l’envoi.

Papier autocollant sur une plaque de carton, un cutter, et c’est parti !

Je vous passe les tribulations nécessaires à l’envoie de trois prototypes à travers l’Atlantique via la poste argentine. C’est long, c’est cher, la bureaucratie n’est pas là pour vous aider. Je ne recommande à personne. Mais on me dit qu’après quelques semaines de transit, ils ont correctement traversé l’océan, et ils devraient arriver sous peu entre les mains de leurs destinataires. Je croise les doigts pour qu’il leur plaise !

Pole Bound

Pas d’avancée sur ce projet.

Tromelin

Pas d’avancée sur ce projet

Ce fut une période plutôt remplie, au final. Un projet s’achève, d’autres commencent, d’autres sont en attente de réponses. Les prochains mois devraient dissiper un peu de ces incertitudes.

Je profite de la mise à jour du tableau pour adopter un code couleur d’une rigueur implacable : vert / jaune / rouge en fonction de comment je suis content de l’avancée, gris pour les projets dont je ne me suis pas occupé.

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