Auteur, carnet de bord #07 – Avancées, avances, avancer

Auteur buty 07
Pierre Buty, Auteur

L’arrivée du gris et du froid, la fin de l’abondance, la fin surtout de la saison des festivals, tout ça veut dire plus de temps à rester chez soi. Moins de sollicitations, moins de délais serrés. C’est une période d’expérimentations et de “travail profond”.

Un chalet d’auteurs

Pour ce qui est des expérimentations, elles se sont surtout concentrées en un week-end à la montagne entre copains-collègues. A l’initiative de Johan Benvenuto, toujours très actif pour faire vivre la communauté des auteurs autour de lui et fier de partager ses origines haut-savoyardes, nous sommes partis à quatre nous enfermer pendant quelques jours dans un chalet perché entre les sapins. Ca sentait bon le feu de bois, la raclette, le papier et les feutres.

Outre Johan, je partageais l’endroit avec Julien Prothière et Grisha Germain. L’objet de cette mini-résidence entre auteurs était d’encourager les co-autorats. Chacun était invité à présenter ses idées de jeux ratées ou abandonnées, en espérant que quelqu’un d’autre ait une étincelle d’inspiration pour les faire repartir.

Est-ce que cet objectif est atteint ? Oui, sans doute. Sur les concepts que j’avais sorti de ma malle, deux ont trouvé un volontaire intéressé pour les développer. Moi-même j’ai eu l’œil attiré par deux autres idées. Dans un monde merveilleux où tout serait possible, me voici donc embarqué dans quatre nouveaux projets, impliquant au total tous les participants du week-end. 

Sur ces quatre, combien vont vraiment démarrer, une fois revenu dans le monde réel ? Jusqu’à présent, je n’ai eu l’occasion de me pencher sur aucun. Mes interventions auprès des écoles et le travail sur Galilée m’ont pris tout mon temps. Même lorsque j’en aurais fini avec ces chantiers, il est improbable que je puisse mener tous ces projets de front. Mes co-auteurs potentiels sont conscients de mes contraintes et les prennent avec philosophie. Eux-même ont à faire de leur côté. Qui vivra verra.

Dans l’immédiat, c’était un week-end très agréable, et je suis heureux de voir ce genre d’événements se multiplier. Le travail d’auteur peut être solitaire parfois, et plus nous avons d’occasions de nous retrouver et de nous entraider, mieux ce sera pour tout le monde.

Un dimanche matin à prototyper avec Johan. Certains sont plus chiffonnés que d’autres.

Avances sur droit, droits qui avancent

Dans le dernier numéro, j’avais annoncé un coup de projecteur sur la question des avances sur droit. Après l’avoir longtemps négligée, j’ai été contraint d’y prêter plus attention cette année pour rechercher un équilibre financier. 

C’est quoi, ces avances ?

A la signature d’un contrat d’édition, il est de bon ton (mais pas obligatoire) que l’éditeur s’engage à payer une certaine somme à l’auteur pour sceller la transaction. Comme son nom l’indique, cette somme est une avance sur les droits que l’auteur touchera plus tard sur les ventes de son jeu. Plus l’avance est importante, plus il faudra vendre de boîtes avant qu’elle ne soit remboursée et que l’auteur ne se mette à toucher de nouvelles royalties.

 Héritée du monde du livre, cette tradition sert à plusieurs choses : 

  • Elle permet à l’auteur de vivre le temps qu’il finisse le jeu. Ce n’est pas la même chose d’être payé tout de suite ou d’être payé deux ou trois années plus tard. Si vous signez un jeu et qu’il reste une quantité de travail considérable à faire dessus, comment comptez-vous payer votre loyer pendant ce temps ?
  • Elle constitue un revenu minimum garanti au créateur. Le succès commercial d’un produit est toujours aléatoire, et peut être compromis par de nombreux facteurs qui ne dépendent pas forcément des mérites de l’œuvre. Par exemple, l’éditeur peut mal faire son boulot d’édition ou de promotion. Un deal d’export peut tomber à l’eau. Le jeu peut sortir juste après une sortie concurrente qui lui rafle le marché. Il peut y avoir la guerre, ou les aliens peuvent débarquer… Si le jeu fait un flop pour une raison quelconque et qu’il n’y a pas eu d’avance, l’auteur peut se retrouver avec rien. L’avance sur droit lui assure de gagner quand même un petit quelque chose.
  • Elle engage l’éditeur. Les éditeurs sont généralement de bonne volonté. Lorsqu’ils signent un projet, c’est qu’ils y croient et veulent le sortir. Mais les circonstances peuvent leur faire changer d’avis. Peut-être que le développement traîne en longueur et qu’ils cessent d’y croire. Peut-être qu’un autre projet plus sexy leur est tombé entre les mains et qu’ils préfèrent mettre le paquet dessus d’abord. Sans avance versée, il est tentant pour eux de se dire que finalement, ce projet, ce n’est pas si grave s’il ne sort pas tout de suite. Après quelques années de tergiversations, l’auteur récupère les droits d’un jeu avorté et peut-être déjà démodé. Alors que si l’éditeur met d’entrée de jeu une grosse liasse de billets sur la table, il a tout intérêt à ce que le jeu sorte vite et fort pour rentabiliser son investissement. Il est plus incité à le faire monter dans son calendrier et à mettre plus d’efforts dans son développement.

Et alors, c’est combien ?

Sans surprise, l’auteur a intérêt à ce que l’avance soit la plus élevée possible, et l’éditeur à ce qu’elle soit le plus basse possible, voire nulle. C’est un des nombreux points à négocier lors de la rédaction d’un contrat d’édition. Dans notre milieu plus qu’ailleurs, l’avance est généralement basse, presque symbolique. Pendant des années, on m’a proposé des avances de quelques centaines d’euros à 1000 euros max pour mes jeux, ce qui n’est vraiment pas beaucoup par rapport au temps que j’y avais passé. 

Pourquoi accepter des sommes pareilles ? Pour plein de (mauvaises) raisons. Par inexpérience. A une époque où j’avais un salaire et des économies, je me souciais peu de quand j’étais payé, tant que j’étais payé pareil. Erreur. Je croyais aussi que tous les jeux que je signais auraient forcément un succès commercial, et que le montant de l’avance était un détail. Erreur.

On m’expliquait aussi que l’éditeur prenait déjà un gros risque financier en payant la fabrication du premier tirage sans savoir s’il allait se vendre. L’auteur, lui, ne risquait rien, il n’avait qu’à attendre pour que l’argent tombe “gratuitement” dans sa poche. Alors demander une grosse avance en plus, c’était un peu abuser. Là, ça me chiffonnait un peu, parce que le risque je l’avais déjà pris en travaillant des mois (ou des années) sur un projet sans savoir s’il allait donner quelque chose. Mais bon, créer des jeux, je faisais ça par plaisir. Je n’allais pas le compter comme du temps de travail. Erreur.

Et puis surtout c’était comme ça, c’était partout pareil, je n’avais aucune idée que je pouvais demander plus, alors j’ai pris ce qu’on me proposait. 

Tous les auteurs débutants lorsqu’il s’agit de négocier leurs premiers contrats.

Mais en vrai, c’est combien ?

C’est plus. Bien plus que 1000 euros. Un certain auteur français très productif serait réputé pour demander une avance forfaitaire de 1 euros par boîte du premier tirage de ses jeux (pour donner une idée, un premier tirage peut aller de 3000 boîtes à 50 000 pour un projet supposé devenir un gros succès). Sans aller jusque-là, la SAJ considère comme raisonnable de demander au minimum une avance correspondant aux droits sur l’intégralité du premier tirage envisagé, ce qui fait quand même quelques milliers d’euros en fonction de la taille du tirage et du prix de vente du jeu. Les éditeurs ayant de plus en plus recours à un système de pré-vente de leur premier tirage à leur distributeur, ils sont sûrs de récupérer au moins cette somme. Ils n’ont donc que peu de raisons de refuser ce montant.

C’est sur cette base que j’ai négocié l’avance de Galilée avec BLAM. Il me fallait financer 2 ou 3 mois de travail à temps plein. Je touche un peu plus de 30 centimes par boîte, un premier tirage d’un Cartaventura représente un peu moins de 20 000 boîtes. Je vous laisse faire le calcul. Alors certes, je ne toucherais peut-être pas un centime de royalties pendant la première année d’exploitation, mais c’est maintenant que j’ai besoin de cet argent, pas en 2024. Ca me permet de terminer l’écriture de l’épisode dans les temps, et l’an prochain je pourrais en commencer un autre (ou faire autre chose). Tout le monde y gagne.

La SAJ devrait prochainement sortir un nouveau livre blanc sur comment négocier son contrat. Je ne peux que vous recommander de suivre leurs publications et de soutenir leur travail en adhérant à l’association. Etre informé, c’est un bon premier pas pour défendre ses intérêts.

Et mes projets, dans tout ça ?

Cartaventura : Galilée

Après plusieurs allers-retours entre moi et BLAM, la structure du scénario a été approuvée au détail près mi-novembre. « Au détail près », ça signifie des retours du genre « ici, il n’y a qu’une seule action possible, alors le joueur n’a pas le choix de ce qu’il fait, c’est étrange» ou « ici, tu proposes au joueur de faire quelque chose, mais peut-être qu’il ne peut pas à ce moment, ça fait gâchis. »

Il est nécessaire d’être d’accord sur toutes ces questions avant de commencer la rédaction du scénario proprement dite. Corriger ce genre d’accroc implique généralement d’ajouter ou de retirer une carte de texte, de transformer une carte Action en carte Objet, etc. Ça change ce que je dois écrire, où, et de quelle place je dispose pour le faire. Tout texte que j’aurais voulu fignoler avant ce feu vert aurait donc risqué d’être repris à zéro encore et encore pendant que je cherche des solutions. Depuis le début du projet, je bricole donc sur un texte de brouillon, rédigé à la va-vite. Lorsqu’on me fait un retour du genre “ça, ce n’est pas très clair”, je réponds invariablement que je m’en occuperai plus tard.

C’est donc une étape importante pour l’épisode lorsque je peux m’asseoir à mon clavier en disant « aujourd’hui, j’écris ! » Cela signifie que la logique de l’épisode ne devrait plus changer, et que je peux désormais me concentrer sur des questions historiques et littéraires. C’est la dernière grosse ligne droite pour moi sur cet épisode, avant qu’il ne passe aux mains des testeurs et des artistes.

Un épisode de Cartaventura représente à peu près 15 000 mots, ce qui devrait représenter trois semaines d’écriture. Mais les choses sont ralenties par des vérifications historiques fréquentes, et surtout par la rigueur des formats de la gamme. En fonction de la présence ou non de titre, d’illustration et du nombre d’options proposées au joueur, le texte d’une carte peut avoir une taille maximum de 600 à 1000 caractères. C’est peu, très peu, pour raconter une scène, un personnage, une époque, et donner au joueur des informations claires qui l’aideront à décider comment continuer son chemin. Je passe une bonne partie de mon temps à me demander comment raccourcir mon texte pour qu’il tienne dans l’espace autorisé.

J’avance bien. J’en suis actuellement à 45 cartes sur 70. Encore une grosse semaine de travail, et je devrais avoir fini.

« Alors, c’est bientôt fini, cet épisode ? » « Hum… presque. »

Au passage, je suis heureux de pouvoir annoncer que BLAM a trouvé un historien pour servir de garant à l’épisode. Il s’agit d’Alain Tallon, spécialiste de l’histoire des religions en Europe et doyen à la Sorbonne – rien que ça. Après que BLAM lui ait fait jouer à la version non rédigée du scénario, il m’a transmis ses félicitations pour le choix des thèmes de l’épisode et leur traitement. 

Et ouais… J’ai eu les félicitations du doyen de la Sorbonne. Je ne m’attendais pas à ça en me lançant dans le jeu de société. Mes parents sont très fiers, et moi aussi.

T-Rex

Peu de progrès ici. Suite aux retours du festival de Romans, j’ai fait une nouvelle version pour rendre le jeu un peu moins chaotique et améliorer un peu l’ergonomie, puis j’ai envoyé un PnP à la Boîte de Jeu et Origames pour voir ce qu’ils en pensent.

Le jeu n’est pas fini : il y a encore quelques choix à faire entre justesse, finesse et immédiateté, et encore toujours plus d’équilibrage après ça. Mais ça devrait leur permettre de se faire une idée de si le jeu les intéresse ou non. Le développement est en pause en attendant leur réponse.

L’Or des Sirènes

L’attente n’en finit pas. Un éditeur a fini par décliner le jeu en l’état, m’indiquant ce qui le gênait dedans. Il m’a renvoyé son prototype, que j’ai fait suivre à un autre. J’attends toujours la réponse des autres.

Sierra

Pas d’avancée sur ce projet.

Pole Bound

Pas d’avancée sur ce projet.

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