Auteur, carnet de bord #04  – Cent fois sur le métier

Pierre buty carnet

Cela fait bien deux mois que je n’ai pas mis ce journal à jour. Tellement de choses se sont passées pendant ce temps qu’il va être difficile de toutes les raconter ici.

La première nouvelle, c’est que mon périple s’est terminé début juin, et que je suis de retour en France. Tout à coup je retrouve l’accès à des imprimantes, des massicots, des jetons, des joueurs qui parlent ma langue et dotés d’une solide culture ludique. Après des mois à simuler des parties de jeu en solitaire sur un écran, je respire un grand coup !

La saison a d’ailleurs commencé par mon retour au Ludendrôme, l’évènement d’où est issue cette idée de carnet de bord. Ce n’est pas rien de présenter mes protos à une telle assemblée où se mêlent auteurs, critiques, professionnels de tous poils. Les retours sont variés, nuancés, visent juste, ne pardonnent rien. Après deux parties, mes jeux sont bons pour retourner à l’atelier.

Et puis, entre examiner seul son propre travail et le montrer à ses pairs avec une bière à la main, le plaisir n’est pas le même. C’est important, le plaisir, quand on fait des jeux.

Sierra se dévoile

Un de mes objectifs du week-end était d’éprouver mon nouveau jeu de montagnes (baptisé Sierra pour l’occasion) face à de vrais groupes de joueurs.

J’y avais bien bossé, depuis deux mois. Le jeu avait pris forme très vite. Les joueurs superposaient désormais des cartes découpées pour former des silhouettes de montagne. Ils marquaient des points en collectionnant des types de cartes et en fonction de cartes objectifs qu’ils récupèraient en cours de partie.

Ca marchait, mais j’étais limité par le fait de ne pouvoir tester le jeu que seul ou en tête à tête avec ma compagne. Or, je ne voulais pas en faire un jeu à deux. Je voulais en faire un jeu à beaucoup, en rassemblant les joueurs en bînomes rivaux. Cet aspect-là, il m’a fallu attendre le Ludendrôme pour le mettre à l’épreuve.

Ce fut un succès. Certains ont aimé le système de score, d’autres louent l’expérience esthétique, d’autres la relation instaurée entre les joueurs. Le jeu n’est pas exempt de critiques (on peut même dire qu’il est rhabillé pour l’hiver), mais j’ai la réponse que je voulais : Sierra n’est pas une idée de passage qui ne tiendra pas la distance. Il y a quelque chose à creuser dedans.

Illustrer ou non ses protos ?

Un des éléments déterminant dans ce bon accueil a été la beauté sereine, presque hypnotisante, du prototype. C’était une des ambitions initiales de Sierra : proposer une expérience graphique, une sensation d’émerveillement à la découverte progressive d’un paysage. Enthousiasmée par le projet, ma peintre de compagne m’avait proposé de l’illustrer. Le jeu étant inspiré de notre voyage commun, cela faisait parfaitement sens que ce soit elle qui le fasse.

Il y a plein d’avantages à illustrer très tôt son prototype. C’est beaucoup plus plaisant quand on travaille dessus. C’est aussi plus lisible. Surtout, ça dispose favorablement les testeurs et éditeurs lorsqu’on leur met sous le nez quelque chose qui les fait voyager.

Sierra, c’est beau. Ca change de mes protos habituels.

En dépit de tous ces attraits, je suis d’habitude réticent à trop investir dans l’aspect d’un jeu en développement. Déjà, il faut avoir la compétence pour le faire. Je sais bricoler une mise en page, tirer des images du net, voire créer des icones basiques au besoin. Mais prendre les pinceaux pour réaliser quelque chose de beau à la demande, ce n’est pas dans mes cordes. Cela me rend donc dépendant d’un ou d’une artiste.

Il me faut d’abord la trouver. Là, c’est fait, mais d’habitude ce n’est pas évident de croiser quelqu’un de compétent prêt à fournir une quantité considérable de travail à l’œil. Il faut aussi que ses disponibilités correspondent à mes besoins. Si un festival approche et qu’elle n’a pas le temps de finir les visuels prévus, je risque d’aller en festival avec un jeu à moitié illustré (ce qui peut être pire qu’un jeu pas illustré du tout, mais à l’aspect homogène).

Et l’illustration prend du temps. Si une image cesse d’être pertinente, c’est du travail perdu. S’il faut en créer de nouvelles, il faut attendre qu’elle puisse les faire. Insister pour que le prototype soit beau tout du long introduit de la lourdeur dans un processus qui devrait être rapide et agile.

Enfin, il y a la question éditoriale : que faire si un éditeur aime le jeu, mais décide de changer les visuels et de prendre un autre illustrateur pour ça ? Est-ce que je dois refuser de signer ? Ou vais-je annoncer à un proche que merci, mais il ou elle ne recevra rien pour son travail ? Ca m’est déjà arrivé, ce n’est pas un super moment.

Nous nous sommes donc mis d’accord avec ma femme sur une quantité de travail modeste, qu’elle ne devrait à priori pas avoir besoin de retoucher durant le développement. Elle attendra de voir si un éditeur aime ses images avant de vraiment faire du gros œuvre.

Et mes autres projets, dans tout ça ?

Cartaventura : Caravanes

Le jeu est actuellement en cours de traduction vers l’Allemagne et l’Italie. Nous attendons anxieusement de voir comment il va passer auprès de nos partenaires anglophones, qui constituent un gros morceau du marché international. Mais les échos que j’ai des premières ventes sont très positifs. On me glisse dans l’oreillette que ce serait le Cartaventura qui se vendrait le mieux en ce moment en France. Champagne !

On peut comprendre ça de plusieurs façons. Est-ce que Caravanes est meilleur que les autres épisodes ? Est-ce qu’il aborde un sujet qui détonne et intrigue plus de monde ? Est-ce que chaque épisode à sa sortie se vend plus que les précédents parce que la série s’installe peu à peu auprès de son public  (comme c’est le cas pour les Unlocks) ? Est-ce que les épisodes de Cartaventura ont une durée de vie limitée sur les étagères, et qu’au bout de quelques mois leurs ventes baissent ou sont délaissées en faveur des dernières sorties ? Des fois, j’aimerais être un analyste marketing avec plein de données à décortiquer.

A défaut, je vais considérer que Caravanes est meilleur que les autres. C’est certainement ça.

Cartaventura : Galilée

BLAM m’a donné ses impressions du premier chapitre de Galilée courant avril. Il y a du bon et du mauvais. Nous avons pu échanger sur la mécanique de correspondances que j’avais imaginées, et je vois ce qu’ils veulent y changer. Le contenu est aussi trop pauvre pour être satisfaisant. Rien de préoccupant pour un premier jet.

Et puis j’ai séché. Pas d’inspiration. Je m’aperçois que je ne me suis pas assez immergé dans l’histoire italienne pour que les péripéties et les dilemmes me viennent aussi naturellement que ça avait été le cas pour Caravanes. J’ai vraiment besoin du travail de documentation que je croyais pouvoir remettre à plus tard.

De retour en France, j’ai fait le plein de livres à la bibliothèque. Je vais m’y mettre, demain. Promis.

T-Rex

Beaucoup de changement, ici aussi. Les équipes de la Boite de Jeu et d’Origames sont finalement revenues vers moi pour me dire qu’ils n’aimaient pas la dernière version. Trop calculatoire, parfois poussif, parfois trop explosif… Ce n’est pas une dynamique adaptée au grand public. Surtout ils n’approuvent pas qu’un joueur joue le T-Rex dès le début. Ils préféraient la formule Cerbère où tous les joueurs commencent dans la même équipe. Tout est à refaire ! Drame !

J’ai écouté leurs suggestion, protesté parceque certaines étaient irréalisables, on a discuté, et je me suis remis au travail. Retirer le rôle du joueur T-Rex, ce n’est pas une mince affaire. Il faut que le système de jeu fasse avancer le monstre à la bonne vitesse pour coller le train au groupe, quel que soit le nombre de joueurs chez les aventuriers et chez le T-Rex. Cette IA doit avoir assez de mordant en début de partie pour rattraper des aventuriers à pleine vitesse, mais elle doit se faire assez discrète par la suite pour que les joueurs T-Rex n’aient pas l’impression de faire de la figuration. Et tout ça avec des règles transparentes pour que des familles n’aient pas à plisser le nez en se demandant « il avance de combien, là, déjà ? »

C’était très compliqué. Pour m’aider dans la conception de l’IA, j’ai du me reposer sur une grosse feuille Excel pleine de macros.  C’est un peu magique, Excel : je rentre dans la ligne du haut des paramètres tels que le nombre de cartes piochées par tour, la taille de la pioche, la vitesse moyenne du T-Rex, etc. Ces chiffres passent à la moulinette, et au final je récupère un tableau me donnant une estimation de la cadence à laquelle les aventuriers vont se faire dévorer.

Ma boule de cristal à moi !

C’est très beau sur le papier, mais cet exercice a des limites. Déjà, il y a une marge d’erreur assumée. Il est souvent impossible de résumer l’impact d’un élément en un seul chiffre, et je dois faire de grosses approximations (voir des choix arbitraires) sur les paramètres que je fournis à la machine. Ensuite, cette matrice ne peut pas tenir compte de toutes les inconnues d’une véritable partie (est-ce que le T-Rex réussi à aligner les aventuriers pour en dévorer plusieurs d’un coup ? Est-ce que les aventuriers vont coopérer ou se tirer des crosses ?)

Je n’espère donc pas un résultat exact. Mes petits tableaux colorés sont en revanche très pratiques pour m’indiquer à l’avance les réglages qui ne marcheront pas du tout, y compris dans le recoin d’une configuration obscure. Si la partie doit durer 5 à 7 tours et qu’il en faut 12 pour dévorer le premier aventurier, je sais que ce n’est pas jouable. Si ça a l’air de marcher dans la plupart des configurations, mais qu’à 7 joueurs tout le monde est mort au deuxième tour de table, ça ne va pas non plus.

J’attends donc de trouver des projections acceptables à travers toutes les configurations, puis je fais deux ou trois simulations pour tester les extrêmes (à 3 et 7 joueurs). Ce n’est qu’après que je peux imprimer et aller chercher des playtesteurs. Ca m’économise un temps MONSTRE.

Conclusion : j’ai pu tester une version qui marchait bien au Ludendrôme. Retours enthousiastes, là aussi (« moi, j’ai plus aimé que Cerbère », c’est ça que j’aime entendre !) J’ai aussi été challengé sur la possibilité de le rendre encore plus fluide et accessible. Ce n’est pas une question simple, mais vu que le jeu vise le grand public, c’est important.

J’ai envoyé le PnP de la version aux équipes de la Boite de Jeu et d’Origames pour qu’ils voient l’avancée. En attendant leurs impressions, je vais continuer à méditer sur cette question de fluidité.

L’Or des Sirènes

Cela fait deux mois que deux éditeurs ont reçu leur prototype (et un troisième ne l’a pas reçu). J’espérais un peu naïvement qu’ils auraient eu le temps d’y jouer et de me donner leurs impressions depuis, mais ça n’a pas été le cas.

Patience, patience.

Sierra

Je suis très heureux de la première sortie de Sierra auprès d’un public aussi aguerri. Le jeu a encore plein de défis à relever : un peu trop long, un peu trop fouillis, un peu trop prise de tête ou punitif par moment… C’est un bon début, mais j’ai du pain sur la planche.

Pole Bound

Pas d’avancée sur ce projet.

Tromelin

Pas d’avancée sur ce projet.

Le prochain grand rendez-vous, c’est le PEL début juillet.  Tous mes projets sont sur la ligne : j’y dédicacerais Caravanes sur le stand de BLAM, et ce sera l’occasion de parler de la suite de Galilée ; la Boite de Jeu et Origames me donneront leurs impressions de T-Rex (et peut-être que je pourrais leur présenter une version encore meilleure, qui sait ?) ; si je n’ai pas encore de preneur pour ODS, je me baladerais entre les stands avec un exemplaire sous le bras pour régler ça.

J’ai hâte !

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1 réponse

  1. LAURENT TIBALDI dit :

    J’ai rencontré Pierre Buty au FIJ 2020 autour d’un « monster cafe » sur le stand des lumberjacks où nous avions déjà échangé sur le métier d’auteur donc un vrai plaisir de le retrouver dans cette chronique très intéressante. Merci à vous.

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