Johan Benvenuto, l’agitateur cérébral
Aujourd’hui j’ai l’immense plaisir d’interroger Johan Benvenuto, l’auteur de la série de jeux Cortex (Challenge, Kids, Géo), de L’île de Pan chez Lumberjacks ou de Cowboy Bebop – Space Serenade chez Don’t Panic Games.
Johan Benvenuto, peux-tu en quelques mots nous parler de toi et décrire ton parcours ?
Je viens de Haute-Savoie et plus précisément de Chamonix, j’ai 38 ans et j’habite aujourd’hui dans la périphérie lyonnaise.
Pour mon parcours, j’ai eu un bac S puis j’ai pas mal bourlingué dans différentes facultés pour commencer ensuite une thèse en Biomécanique à l’Ufr Staps de Lyon que je n’ai jamais terminée.
Enfant, quel joueur étais-tu ? Quels étaient tes jeux de chevet s’il y en avait ?
Je n’ai pas souvenir d’avoir été un joueur assidu, j’ai plutôt découvert ça sur le tard même si je me souviens de nombreuses parties de Dames ou de Backgammon avec mon beau-père et un Mystères de Pékin qui traînait.
Ce qui a surtout montré mon côté joueur, c’est le poker pendant mes études qui m’a permis d’en financer une bonne partie.
Un jeu en particulier t’a-t-il fait basculer dans le jeu de société « moderne » ?
Clairement 7 Wonders d’Antoine Bauza. J’avais visité quelques boutiques à Lyon lors d’une semaine « Geek » organisée et on avait, avec madame, commencé a acheté un Risk et un Burger Quizz puis lors d’une après-midi avec un couple d’amis proches et joueurs, ils ont sorti 7 Wonders et là, une vraie claque. S’en ai suivi un Aventurier du rail puis un Pandémie et c’est foutu pour moi.
Comment as-tu sauté le pas entre jouer et être acteur du monde du jeu ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?
De manière très simple, j’ai rencontré des auteurs (dont Nicolas Bourgoin, voir plus loin) lors d’une journée concours et je me suis tout simplement dit pourquoi pas moi, en tout cas, rien ne m’empêchait de tenter le coup.
J’ai fait mes premiers protos, j’ai recontacté les membres de la CAL (la Compagnie des z’auteurs lyonnais) puis j’ai bien fait tout comme on m’a dit : Test, écriture des règles, prises de RDV sur salon avec des éditeurs… et au bout de 3 ans ça a pris (oui ça ne s’est pas fait comme ça, ni lors du premier salon, ni avec le premier jeu).
Quel est ton processus de création ? Qu’est-ce qui t’anime dans la création de jeux ?
Au début, principalement des frustrations venant d’autres jeux. Je me souviens que ma première grosse création venait du manque d’interaction entre les joueurs à Terra Mystica et j’ai voulu palier à ça dans un jeu à moi.
Désormais ça provient principalement de discussion car je travaille quasiment qu’exclusivement en Co-auteur.
Tu es co-auteur avec Nicolas Bourgoin (Mimtoo, Demoniak) de la série de jeux de défis Cortex (Challenge, Kids, Géo). Tu es plutôt réflexion, mémoire ou rapidité ? … ou rien de tout ça ? Comment en es-tu venu à faire cette collaboration ?
Alors pour Cortex, c’est une histoire en 3 points :
- Lors de mes études, j’ai étudié la neuroscience et je connaissais un peu les différentes formes d’intelligence ; ce qui allait faciliter la mise en place des différentes épreuves.
- De plus, un jour lors d’une partie d’un jeu de rapidité (voir plus haut sur mes frustrations) je me suis dit : « Ok, le jeu est terrible mais si je suis daltonien, ou même nul à ce qui est demandé dans ce jeu, je serais nul à tout le jeu et donc je ne l’achèterais pas ». A donc germé l’idée d’un jeu multi-épreuve.
- J’ai toujours été plutôt bon au jeu de rapidité et je me suis dit : « ça serait cool d’avoir un jeu où le gagnant peut remettre en jeu sa carte gagnée et risqué de tout perdre »
Là-dessus, j’ai créé un premier proto multi-épreuve (qui n’allait quasiment pas changer avec le Cortex 1) mais accompagné de pyramide de pouvoir et de scoring progressif et… je l’ai laissé dans un carton pendant 6 mois.
J’ai commencé à le montrer à des membres de la CAL jusqu’à Nicolas qui m’a dit qu’il serait intéressé pour bosser dessus et l’emmener voir des éditeurs. Exit les pouvoirs et tout, on se concentre sur un jeu rapide et malin ; Direction le FIJ (Festival International du Jeu) de Cannes (2015 je crois) où il a fait des RDV éditeurs jusqu’à la Pépite Captain Macaque qui allait éditer le jeu.
Florian Sirieix (Save the Meeple, Zoo Run, What’s Missing) est un auteur avec qui tu as l’air de bien t’entendre. Parle-nous de ta première collaboration avec lui datant de 2019 : L’île de Pan édité par Les Lumberjacks. Comment ce projet est-il né ? Entre le prototype et le résultat final, quelles ont été les principales évolutions et qui a apporté quoi dans cette collaboration ? Et au fait comment travaillez-vous ensemble ?
De mémoire et Flo me corrigera mais je crois qu’on avait tous les deux envie de faire un jeu minimaliste, dans l’esprit des jeux Oink Games que je trouve tellement élégant. L’idée de départ s’appelait MiniZoo et était fait de tuile en L et d’interaction entre les animaux.
Comme tous les protos, entre l’idée et l’envie de base et le résultat final il y a souvent un gouffre et c’est les tests entre nous et avec d’autres joueurs qui font évoluer un proto. Exit les tuiles en L, merci les tuiles hexagonales ; Pas de zoo mais une savane, simplification du scoring.
Pour ce jeu, comme pour le suivant, c’est venu d’envies qu’on avait tous les deux, et on a commencé ces protos en partant de rien. Ce n’est pas un auteur qui vient avec un proto qui ne fonctionne pas et qui demande de l’aide à un autre ; et donc chacun apporte ces connaissances mais je ne pourrais pas te dire qui a apporté quoi précisément car finalement on se ressemble pas mal dans le profil joueur-auteur
Pour ce qui est de notre fonctionnement, ça reste plutôt simple, Flo est venu à Lyon quelques fois pour démarrer les projets, je suis également descendu dans le sud car il est impératif de se voir, on avance jamais plus vite que dans ces moments-là. Pour le reste, skype, discord, tabletop…
Ta deuxième collaboration avec Florian Sirieix est la sortie en ce début d’année de Cowbow Bebop – Space Serenade édité par Don’t Panic Games. Une mécanique de deckbuilding avec déplacements de figurines, le tout dans l’univers d’un animé japonais. Comment en êtes-vous arrivés à développer ce type de jeu sous Licence ? A la base, le jeu était-il prévu dans cet environnement ?
A la base on voulait faire un deckbuilding (NDLR : construire son jeu avec des cartes au fur et à mesure de la partie) avec une interaction forte et des déplacements sur un plateau (frustration, tout ça tout ça) et on a créé un jeu de Far West où nous sommes un chasseur de prime qui pourchasse des Wanted. Nous l’avons présenté à plusieurs éditeurs (au FIJ 2018 je crois) jusqu’à ce que Dont Panic Games nous montre de l’intérêt mais en souhaitant un jeu à licence. Il nous a présenté ensuite plusieurs licences en sa possession jusqu’à Cowboy Bebop (qui n’était pas la première proposition) et cela nous a paru évident car le gros du travail était fait : Wanted, déplacement. Par contre il a fallu quand même grandement travailler le jeu car beaucoup de choses n’allaient pas dans l’univers et nous voulions vraiment respecter au plus prêt l’anime. Un grand bravo au passage à Nicolas Aubry, le chef de projet qui a littéralement porté le projet à bout de bras et nous a supporté pendant tout le développement. Big Up !
Comment testes-tu tes jeux ? Peut-être peux-tu nous parler du CAL (la Compagnie des z’auteurs lyonnais) ? Joue-t-elle un rôle dans ces phases de test ?
Pour faire très simple :
– Je créé le proto avec mon et mes co-auteurs, on le teste ensemble.
– Ensuite on le teste entre membre de la Tanière ou de la CAL . NB : la tanière sont des membres de la CAL ou autres qui souhaitent se professionnaliser. On se retrouve dans un local de travail 3 fois par semaine pour de la création de jeu.
– On le présente ensuite à des inconnus en bar à jeu ou à des amis non auteurs.
Clairement la CAL joue un rôle super important, on se réunit d’ailleurs une fois par mois pour les AperoProto. Ça reste des conseils éclairés d’acteurs du milieu donc souvent très pertinents.
On te retrouve sur des salons du jeu ? Comment les choisis tu ? Qu’y recherches-tu principalement ?
Bien sûr, quand ces derniers reprendront. Ça reste toujours un super moment surtout quand il s’agit d’un salon où une de tes créations sort.
Je n’ai pas spécialement de planning défini à l’avance à part bien sûr pour les gros salons (FIJ, PEL – Paris Est Ludique, Essen). Ceux-là sont à part car il s’agit des salons principaux où va s’entremêler Promotion / Présentation de proto et surtout où on retrouve tous les copains, une chose à ne pas négliger (vous manquez putain).
Pour les autres, ça va dépendre de plein de facteurs : un copain qui m’y invite, la proximité de mon lieu de vie, un éditeur qui veut me voir, des projets à présenter…
Pour cette fin d’année je n’ai donc encore aucune idée d’où je vais aller : Orléans ? Octogones ?
Mise à part les 3 gros où j’y vais clairement pour présenter mes protos et faire de la promotion des sorties, ce que je recherche dans les autres festivals va vraiment dépendre de ce que j’ai dit plus haut, je peux très bien y aller juste pour jouer, ou pour voir un seul éditeur, ou pour une sortie.
Quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un joueur désireux de faire éditer son premier jeu ?
Fais le tester par des inconnus (et écoute-les), rapproche-toi d’un collectif près de chez toi, tourne une vidéo de présentation et écrit tes règles du jeu et ensuite essaie d’obtenir un RDV sur un gros festival ça sera toujours mieux que d’envoyer un proto physique à un éditeur sans le rencontrer.
Peux-tu parler de tes autres jeux ? Et finalement parmi toutes tes créations ludiques, avec lequel voudrais-tu le plus rejouer en ce moment ?
En ce moment je joue pas mal à CowboyBebop, vu que c’est le dernier sorti mais clairement quand je fais une soirée jeu découverte ça reste très largement le Cortex (et particulièrement le 2 ou le +) auquel on joue et rejoue.
As-tu quelques photos à nous montrer d’un ou plusieurs de tes protos ?
Je dois pouvoir trouver ça …
Sur quels jeux travailles-tu en ce moment ? Quelles sont les futures sorties prévues ?
Alors actuellement, j’ai 4-5 jeux signés chez des éditeurs, donc qui devrait sortir prochainement mais vu que chaque éditeur à sa propre politique concernant sa communication, il faudra attendre avant d’en savoir plus !
Sinon, j’ai toujours une quinzaine de prototypes « actifs » sur lesquels je travaille actuellement et que l’on présente aux éditeurs.
Ta compagne Pauline Detraz est illustratrice de jeux (10’ To Kill, Medieval Pong, Dicycle race). Avez-vous déjà envisagé de faire un jeu ensemble ? On me souffle dans l’oreillette que vous seriez des adeptes du jeu les Aventuriers du rail pour avoir déjà fait une petite collab’ à propos d’une fanmap ? Peux-tu nous en dire deux mots ?
Alors… On a envisagé des idées mais qui n’ont jamais dépassé ce stade mais c’est tout à fait vrai pour les aventuriers du rail, tu es très bien renseigné. Une de mes toutes premières créations a été cette extension que j’avais proposé sur le site de Days Of Wonders et qui a été reprise en ligne sur le site de Gus&Co et c’est Pauline qui s’était chargée à l’époque de tout le travail graphique. Je dois dire qu’on n’est pas peu fier du travail accompli surtout qu’on avait des messages super chaleureux à ce propos. Je dois encore avoir la map quelque part si je fouille bien (voir ci-dessous).
En tant que créateur de jeu, est-ce qu’on arrive encore à jouer ? Y a -t-il des jeux qui viennent de sortir qui te font dire : Ouah … quelle belle claque ludique !
Bien sûr et heureusement sinon ça serait triste je trouve. Pour les nouveautés, je vais mettre en avant Tea For 2 de Cédrick Chaboussit, bravo à toi et surtout The Crew.
On t’annonce que tu vas être confiné, en tant que joueur quels sont tes trois coups de cœur jeux de société de tous les temps que tu auras avec toi ? Et pourquoi ?
En 1 : Seasons, j’en ai déjà parlé dans d’autres interviews mais ce jeu m’a forgé, une vraie claque et toujours un plaisir d’y jouer. En 2 : le 7ème Continent, car il faudrait un jour que je réussisse une malédiction et en 3 : un truc plus petit comme Bonanza, Monster café ou Hilo, voir un jeu de carte classique pour toutes les possibilités offertes.
Quel serait selon toi un jeu sous-coté ?
A mes débuts, j’aurais dit Cacao qui est parfait en jeu familial, et maintenant je dirais Yutaka qui est parfait en jeu à deux.
Avec quel auteur de jeu rêverais-tu de travailler ?
J’adorerais faire un jeu avec Antoine Bauza car ses scorings, ses univers et le type de jeu qu’il fait sont toujours supers élégants ou alors avec Regis Bonnessée car Libellud quoi ! Sinon passer une journée avec la machine Cathala pour voir le patron. Si vous passez par-là les gars…
Comme dirait ma femme, il n’y a pas que le jeu dans la vie. Justement, quelles sont tes autres centres d’intérêt ?
Arf je dirais le Poker, mais c’est encore un jeu. Les voyages Trek/Rando sinon, on a déjà fait USA, Islande et Irlande avec madame et on a encore pleins de projets.
Entre nous (chut !), as-tu un scoop à nous partager ?
Ma prochaine sortie chez Blue Orange début de l’année prochaine, je mets une pièce dessus, ça va vous plaire.
Pour terminer cette interview, je te propose de sortir le jeu “Questions de merde” de chez le Droit de perdre. Tes réponses peuvent être franches ou décalées ! Le but du jeu est de me convaincre que tes réponses ‘volent haut’ !
Je tire 3 cartes, prêt ?
Première carte
Quel est le meilleur moyen pour développer sa culture générale ?
Regarder BFM
Quelle petite attention te rend heureux ?
Quand on garde le plaid contre soi après avoir pété dessous
Qu’est ce qui te met de très bonne humeur ?
Quand je secoue le plaid après avoir pété dessous
Voici les questions de la deuxième carte :
Quel est le pire moment pour dire “Je t’aime” ?
Quand il n’y a plus de papier toilette et qu’on t’en tend un rouleau à travers la porte
Où faut-il se cacher pour gagner une partie de Cache-Cache ?
Au cœur d’un volcan actif
Quel nom est particulièrement con pour un animal de compagnie ?
Johan
Voici les questions de la dernière carte :
Pour quel genre de vidéo aimerais-tu atteindre des millions de vues sur Youtube ?
Un tuto beauté
Quelle est la devise de ta vie ?
L’euro €
Je te donne une batte de Baseball. Qu’as-tu envie de péter en premier ?
Une Pinata
Chers lecteurs, si vous avez aimé les dernières questions de cette interview, vous pouvez les retrouver dans le jeu “Questions de Merde “ chez Le Droit de Perdre.