[Entretien avec] Matthieu Podevin – L’auteur qui sait faire le grand écart

Matthieu Podevin, l’auteur, d’un côté du gigantesque Titan et, de l’autre du très « familial » L’Empire de César chez Holy Grail Games, a accepté de nous en dire un peu plus sur son approche du monde ludique, son processus de création, et ses projets à plus ou moins long terme. Allez, c’est parti. Bonjour Matthieu !

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Peux-tu en quelques mots nous parler de toi et décrire ton parcours avant de devenir auteur de jeux ? Parce qu’il me semble que masseur-kinésithérapeute, ça ne mène pas directement à game designer non ? En même temps, qu’est-ce qui y mène véritablement ?

Bonjour, je m’appelle Matthieu Podevin, j’ai 36 ans, je suis marié et j’ai 3 enfants. Je suis masseur-kinésithérapeute libéral depuis mes 22 ans.

Matthieu Podevin
Matthieu Podevin

Enfant, quel joueur étais-tu ? Quels étaient tes jeux de chevet s’il y en avait ? Et un jeu en particulier t’a-t-il fait basculer dans le jeu de société dit « moderne » ?

Je suis issu d’une famille de 4 enfants joueurs elle-même appartenant à une famille plus grande de 19 cousins-cousines et 10 parents – oncles et tantes et 4 grands-parents eux même tous joueurs de dizaines voire centaines de jeux différents (du tarot, rami, whist, manille, bridge, échec, dames, backgammon, Petits-chevaux, Scrabble, Lexicon… aux jeux de notre enfance Dix de chute, Qui-est-ce ? Bonne Paye, Risk, Monopoly, Cluedo, Power et autres merveilles MB …)

Ce qui m’a amené à devenir auteur de jeu c’est le désir de partager ma passion avec mon entourage dès le plus jeune âge en créant des jeux dès l’âge de 8 ans. Mais le déclic c’est fait avec Catane en 2000 qui m’a donné une vision éclairée de ce qu’il était possible de faire.

Comment as-tu sauté le pas entre jouer et vouloir être acteur du monde du jeu ?

C’était tout simplement un besoin de réalisation personnelle et l’envie de se défier soi-même. Arrivant à un certain confort dans la gestion et l’appréhension de mon activité il m’était important de sentir et découvrir un autre univers où l’incertitude est à tous les niveaux.

L’envie de créer est fondamentalement liée au besoin d’extérioriser des idées créatrices qui étaient très larges dans mon adolescence : photographie, dessin, graphisme, écriture et poésie. Le jeu était le seul médium qui réunissait toutes mes passions créatrices, associé à mon désir constant de connaissances et de nouvelles découvertes. De plus j’aime être au contact des gens et le jeu de société en est le meilleur vecteur.

Tu as présenté en 2017 au FLIP (Festival Ludique International de Parthenay) un prototype appelé Abycity et qui deviendra le jeu Titan, un jeu en financement participatif porté par Holy Grail Games qui vient tout juste d’être livré pour le plus grand bonheur des pledgeurs. Parle-nous un peu de cette aventure hors norme ! Car c’est un jeu qui a une longue histoire n’est-ce pas ? De son stade de prototype à celui du produit final. Comment as-tu pu convaincre Holy Grail Games de créer un jeu avec un matériel aussi énorme.

Il est vrai que c’est un jeu qui a une longue histoire et qui est en soi un parfait résumé de ma découverte du milieu ludique professionnel par les étapes qu’il a traversé. C’est effectivement dans un premier temps la certitude qu’il serait possible de rendre 7 Wonders plus immersif. C’est un jeu fantastique mais il me manquait l’aspect réalisation physique. J’ai besoin de visualiser ce que je fais et ne pas avoir trop d’abstraction du thème.

Pour me convaincre que cette idée était exploitable et après avoir subi une désillusion sur un autre prototype richement illustré, j’ai commencé par créer un prototype très brut sur papier, que j’ai tout de suite fait tester chez Arcadia ma boutique de cœur à Nancy. Puis je me suis rapidement mis à faire des illustrations afin de sentir le thème et pouvoir rajouter de la mécanique de connexion.

Ce proto était donc une version carte avec une mécanique de draft et à tableaux personnels sur lesquels interagissaient des sous-marins comme vous pouvez le voir ci-dessous :

Après ma rencontre avec Nicholas Bodart (ndlr : le patron de MushrooM Games) à Cannes en 2016, le jeu est passé à la 3D avec son plateau central et cette version prototype impressionnante. (7 Wonders était désormais très très loin).

3D pour 2 raisons : c’est un effet Wahou immédiat qui allait forcément attirer le public vis-à-vis de la production habituelle. Deuxièmement, elle participe à cette implication personnelle du joueur dans l’univers qui est en train de s’animer sous ses yeux.

Et c’est ce qui a plu à Holy Grail Games (HGG). Et il faut bien l’avouer à beaucoup d’autres… Mais il fallait avoir les reins solides pour s’aventurer dans la production d’un tel OLNI. Le fait que ce soit un très jeune éditeur qui passe majoritairement par le Crowdfunding pour lancer ces jeux à forcément jouer dans leur décision. C’est un jeu qui représentait l’occasion de se démarquer sur Kickstarter.

La version prototype pour le Kickstarter

Actuellement, qu’est-ce qui t’anime dans la création de jeux ? As-tu un processus de création rigoureux et/ou particulier ? Est-ce que tout cela a évolué ?

Actuellement c’est le partage et l’échange avec Olivier Mélison, Eric Dubus et l’équipe d’HGG dans son ensemble qui m’anime. Nos échanges nombreux et enjoués ont autant de valeur que la réalisation du jeu lui-même. J’ai 2 processus distinct uniquement lié au temps disponible et aux événements quotidiens : le premier la création personnelle, vive, directe, rapide. Le deuxième est fait de longs échanges avec Olivier sur nos envies de jeu et nos dernières idées.

Les salons du jeu ont-ils joué un rôle dans l’évolution de ta création ludique ? As-tu un cercle de joueurs habituels, ou te faut-il voir de nouvelles tête pour progresser dans ta production ludique ?

Lors de mes premières années de « prospection », ce sont effectivement les salons qui m’ont le plus aidé, mais il a fallu s’accrocher car il est très difficile de s’intégrer dans ce milieu fermé. Il faut prendre son courage à deux mains et enfoncer quelques portes.

Mon cercle de joueur habituel est un cercle d’amis très proches avec qui je ne teste quasiment aucune nouveauté excepté mes protos à tester. Nous jouons majoritairement aux grands classiques de ces 25 dernières années en prenant le temps de les apprécier avec tendresse.

Les nouveautés, je les achète pour les étudier en profondeur et y joue avec HGG.

L’Empire de César est sorti en boutique chez Holy Grail Games avec une participation des québécois de Synapses Games. Pourquoi ce grand écart entre ce jeu ultra familial et un jeu expert comme Titan ? Est-ce que ce jeu était-il prévu déjà très tôt pour être sous licence Astérix ? Parle-nous de sa genèse, de son évolution, du stade de prototype jusqu’au résultat final (si tu as des photos de son évolution, elles sont les bienvenues !)

Les jeux dits familiaux sont mal interprétés selon moi. La réflexion et l’intensité peuvent être tout à fait équivalent voir supérieures dans les jeux familiaux car leur mécanique simple peut régulièrement présenter bien plus de subtilité qu’on ne le pense. Ce sont également des jeux que l’on va pouvoir éplucher profondément. Je prends pour exemple l’universel jeu de dames qui est un jeu on ne peut plus simple mais présentant un très haut niveau de calcul et de complexité au final.

L’Empire de César est venu d’un défi né des multiples parties jouées aux Aventuriers du Rail où le manque de maîtrise sur notre main m’agaçait. La preuve en est : les joueurs les plus experts détournent cette situation en bloquant les trajets des autres joueurs sans réaliser leur propre réseau. C’est devenu un jeu de blocage plutôt qu’un jeu de réseau. Cela ne me dérange pas en soi mais c’est détourné le fond du jeu.

La nécessité d’un jeu plus direct me sautait donc aux yeux. Un jeu de réseau, familial, où les routes seraient partagées, devait consister à créer son réseau immédiatement par la pose de nos routes sans autre artifice. Le jeu est venu très rapidement autour du thème des routes de Rome et sa validation par HGG fut quasi immédiate.

Le prototype de Roads (l’Empire de César avant qu’il soit sous licence Astérix)

Le choix de la licence s’est imposé par le désir de diffuser le jeu au plus grand nombre. La première version qui n’a été éditée qu’en Polonais par Granna (que je remercie chaleureusement) avait beaucoup de fraicheur sous le pinceau de Joelle Drans (que j’aimerai voir illustrer un autre jeu totalement fait pour son style). Cependant pour une diffusion plus large et plus internationale, une licence comme celle d’Astérix allait permettre d’appuyer le jeu plus fortement et les distributeurs ont poussé dans ce sens pour encore plus s’investir dans le jeu.

Retrouvez l’article sur l’Empire de César sur Undécent par ici => L’Empire de César

Tiles of Arabian Nights (Contes des 1001 tuiles) est ton 3ème projet ; et encore porté par Holy Grail Games. Un jeu avec une mécanique différente. Tu as le don de nous surprendre. Peux-tu nous en toucher deux mots ?

Les Contes des 1001 Tuiles (ndlr : dont la campagne Gamefound s’est déroulée avec succès en octobre 2021) a été l’occasion d’un premier jeu en tant que coauteur d’Olivier Mélison. Je l’appelle le jeu du confinement. Echangeant chaque jour sur ce qu’il nous manquait dans le jeu de tuiles, nous avons assez vite pensé à déconstruire le décor constitué par les tuiles. Deux options s’offraient à nous : exploiter ces tuiles pour en faire un jeu de gestion et donc avoir une seconde phase de jeu plus complexe ou utiliser ces tuiles de manière très directe et rendre le jeu plus familial. L’influence du confinement sur le jeu vient du fait de s’être retrouvé dans un cadre familial permanent et prolongé et donc de s’orienter vers la seconde option.

Le twist c’est donc l’utilisation de ces tuiles collectées qui vont nous servir de cadre narratif pour conter les aventures vécues sur le plateau dans l’univers des 1001 Nuits.

Un jeu de collection de tuiles et de commandes encadré par des phases narratives : voilà de quoi intriguer les joueurs.

Hormis la proximité géographique, qu’est ce qui fait que l’éditeur nancéen Holy Grail Games t’as fait à nouveau confiance ?

Une amitié qui s’est très rapidement construite tout simplement. Avec des points de vue très semblables sur le monde du jeu et l’abord qu’il fallait en avoir. Y prendre du plaisir sans y voir trop de contrainte. Conserver une grande forme de liberté et surtout respecter les joueurs.

Attention, question existentielle : Qu’est-ce que ça représente pour toi qu’être auteur ?

Un accomplissement personnel, du temps et le sentiment d’avoir une seconde vie professionnelle qu’il faut apprendre à distinguer au quotidien afin qu’elle n’étouffe pas trop le reste : une véritable passion dévorante.

Cap sur l’avenir maintenant. Sur quel(s) projet(s) travailles-tu en ce moment ? Y a-t-il un projet particulier qui te tient à cœur et que tu aimerais concrétiser plu dur tout autre ?

Je travaille toujours à développer les jeux HGG; concernant ma production, elle touche à plusieurs jeux : un jeu familial coopératif, un jeu abstrait, une extension potentielle de L’Empire de César et 2 jeux experts sur l’antiquité. L’extension me tient à cœur mais le jeu que j’attends le plus de concrétiser est un jeu sur la Rome Antique dont je ne dévoilerai pas la teneur mais qui nous a déjà couté un peu plus de 1000 heures de discussion et de travail en 5 ans.

Avec quel auteur de jeu et quel illustrateur de jeu rêverais-tu de travailler ?

Yoann Levet pour parfaitement comprendre son processus lors de la création de Myrmes et Miguel Coimbra pour ses qualités en Speed Painting pour un jeu à plus de 200 illustrations.

A quels jeux joues-tu en ce moment ?

Brazil Imperial, 7 Wonders Architect, Anno 1800, Pax Pamir, Newdale et Dune Imperium pour les étudier.

Pour jouer : Dream Home, Capital, Cuba, Barenpark, l’Empire de César, TITAN, Formula D, Skyjo et 2 jeux experts HGG en développement.

Justement, en tant que créateur de jeu, y a -t-il des jeux récents qui te font dire : Ouah … quelle belle claque ludique, si seulement ça avait été moi qui l’avais réalisé !

Mes dernières claques sont Welcome to, Imhotep, Dream Home, Unlock et Terraforming Mars. Ces 3 dernières années j’ai joué à de très nombreux jeux extrêmement bien finis mais aucun qui ne m’ait transcendé au point de m’interroger sur la conception d’un jeu.

En tant que joueur quels sont tes 3 coups de cœur ludiques que tu voudrais voir inscrit au Hall of Fame de tous les temps ? Et pourquoi ?

Myrmes car aucun jeu n’a un thème autant lié à sa mécanique et vice versa. C’est un chef d’œuvre qui mériterait d’être réédité à mon gout.

Time’s Up pour ces moments de convivialité qu’il crée.

Taluva / Santorini / Imhotep pour l’élégance et la simplicité de leur mécanisme qui me paraisse comme un défi intellectuel à chaque partie.

Comme dirait ma femme, il n’y a pas que le jeu dans la vie. Justement, quelles sont tes autres passions ?

Tout me passionne. Il n’y a aucune limite. J’aime pouvoir m’enrichir de tout ce qui m’entoure et mes proches seraient les premiers à dire que je passe trop de temps à chercher à tout approfondir. Un touche à tout en somme.

Quelle personne du monde du jeu qu’Undecent n’a pas encore interviewé aimerais-tu que je passe à la moulinette du questionnaire ?

Et bien justement Yoann Levet.

Pour terminer cette interview, je te propose de sortir le jeu “Questions de merde” de chez le Droit de perdre et de répondre à une série de questions (9 au total). Tu peux y répondre plus ou moins sérieusement et pour reprendre les mots des auteurs Franz Lejeune et James Fabian : 

« Que vos réponses volent haut ou pas ne changera pas votre destin … Alors lâchez-vous … Envolez-vous ! Au fond, qui n’a pas déjà eu envie de s’envoler loin, aussi loin que possible … »

Ma femme a sélectionné 9 questions … prêt ?

Plus que prêt et très sérieux dans mes réponses.

Quelle serait ta première question à une voyante ?

Quelle est la question que je vais vous poser ?

Sur quel sujet as-tu toujours raison ?

La cuisson des chipolatas au BBQ.

Si tu devais renaître demain en fantôme, quel endroit irais-tu hanter ?

Le Mont Saint Michel.

Quel produit fait maison pourrais-tu vendre au bord de la route ?

Des râpés de pomme de terre à réchauffer.

Quel(s) mots te ferais-tu tatouer sur les fesses ?

Si vous êtes arrivés ici, faites demi-tour.

Tu pars en lune de miel, où vas-tu ?

Bali.

Quel métier, désormais inenvisageable pour toi, te faisait rêver pendant ton enfance ?

Archéo-anatomopathologiste.

En dehors de l’argent, avec quoi peut-on te corrompre ?

Un sourire.

Si t’étais un grand méchant, quel but maléfique poursuivrais-tu ?

Anéantir totalement l’humanité (moi compris).

Chers lecteurs, si vous avez aimé les dernières questions de cette interview, vous pouvez les retrouver dans le jeu “Questions de Merde “ chez Le Droit de Perdre.

Hello asso

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