[Auteur] Pierre Buty, carnet de bord #00 – Présentations

Bonjour, page blanche. D’habitude, tu ne me poses pas trop de problèmes. Mais quand il s’agit de parler de soi, c’est plus difficile. 

Commençons par expliquer la genèse du projet. C’était au Ludendrôme, un gros week-end de jeux entre “gens du milieu”. C’est là que j’ai fait la connaissance d’Arnaud, qui s’était porté volontaire pour m’héberger avec quelques autres le temps de l’événement. 

Nous avons parlé de son site, de ses projets, et il m’a évoqué son envie de publier une sorte de carnet de bord d’auteur, une série d’articles décrivant la fabuleuse histoire de comment un jeu voit le jour. L’idée m’a aussitôt plu. J’adore créer des jeux. J’adore en parler. Arnaud cherchait un petit auteur pour que ses lecteurs puissent davantage se projeter dans ses problématiques que dans celles d’une superstar, mais avec assez de bouteille quand même pour avoir quelque chose de crédible à dire sur le milieu ludique. Les planètes étaient alignées.

Quelques semaines plus tard, me voilà devant mon clavier, à essayer de raconter mon métier sur cette page qui commence à se remplir. Peut-être que le plus simple pour un premier numéro c’est de me présenter, non ?

Tout d’abord, qui suis-je ?

Appelez-moi Pierre. J’ai débuté ma carrière comme concepteur et scénariste de jeux vidéo. Pendant plus de 10 ans, j’ai fait l’aller-retour entre les studios de production et l’enseignement du Game Design en école spécialisée. Pendant tout ce temps, je bricolais des jeux de société sur mon temps libre. Avec l’arrivée des premiers contrats d’éditions, cela m’a pris une part de plus en plus importante de mon temps, pendant que je prenais des distances avec mes autres activités professionnelles.

auteur
On devrait tous avoir un portrait de soi en noir et blanc à coller sur un CV ou un article de blog.

Peut-on dire que je suis un auteur reconnu ? Pas vraiment. Si vous cherchez mon nom dans votre ludothèque, vous aurez du mal à le trouver. Mon premier jeu, SOL, a épuisé son premier tirage sans faire de vagues et n’en a jamais eu de deuxième. Mon deuxième, Cerbère connaît un certain succès et se maintient sur les étagères, sans être un blockbuster international pour autant. Invité par la suite à créer du contenu pour Chronicles of Crime – 1400, mon nom n’apparaît pas sur la boîte, seulement à l’intérieur de l’application sur les scénarios que j’ai créé. 

Mais quand même… Après dix ans de bricolage, ma modeste ludographie constitue désormais ma principale source de revenus. Si les joueurs ignorent mon nom, pas mal de professionnels l’ont vu passer ou m’ont déjà rencontré sur un festival ou un autre. Quand au détour d’une soirée je dois dire à une nouvelle tête ce que je fais dans la vie, je n’hésite plus à répondre “auteur de jeux”, et c’est assez kiffant.

Est-ce que j’ai d’autres projets en cours ?

Oui, plein. C’est vrai de la plupart des auteurs, d’ailleurs. Quand on leur demande s’ils travaillent sur de nouvelles idées, la réponse est toujours “oui, plein.” Ce n’est pas avoir des idées qui est dur, c’est de savoir les filtrer et les développer jusqu’au bout sans se disperser.

Il y a quelque temps, je m’étais imposé la règle de ne pas développer plus de trois jeux à la fois, pour éviter la dispersion d’énergie, justement. Vous allez voir que cette bonne résolution n’aura pas tenu longtemps… Tour d’horizon.

Mermaidz

C’est un projet que je traîne depuis quelques années, maintenant. L’idée était d’en faire un stop-ou-encore grand public où les joueurs devaient remonter un trésor englouti à la surface sans se faire prendre la main dans le sac par les sirènes qui le gardaient. En dépit d’un certain intérêt de la part des éditeurs à qui je l’avais montré à l’époque, je n’ai jamais réussi à le signer, en partie à cause de ses mécaniques trop complexes pour le public auquel il s’adressait. 

Ayant finalement réussi à épurer le jeu, j’espère lui donner une dernière chance avant de le remiser au fond de mes placards. Il me faut valider la nouvelle mouture auprès du public, et faire de nouveau le tour des éditeurs. Ce ne sera pas facile : les éditeurs, sollicités de toute part, prennent rarement le temps de réviser leur opinion sur un prototype qu’ils ont déjà refusé. On y croit !

Pour Mermaidz, il est temps d’aller dans le grand bain…

Pole Bound

Fan de récits d’exploration polaires, j’ai voulu faire partager cette fascination dans ce jeu. Les joueurs se répartissent en deux équipes rivales, dont chacune essaiera d’être la première à atteindre le Pôle Sud. Ce doit être un jeu immersif, aux mécaniques légères, mais dur. On doit y sentir la rudesse des éléments, le poids des traîneaux et la faim qui tenaille. 

Le projet est en pause depuis trop longtemps. Nécessitant de nombreux joueurs autour d’une table (il se joue jusqu’à 8), les confinements successifs lui ont mis un sacré coup de frein. Depuis la détente, j’ai pu organiser quelques playtests, mais d’autres travaux plus pressants avaient pris le devant. Pole Bound est le jeu qui est toujours à la lisière de ma To Do List, celui dont je me dis “dès que j’ai fini ça, je m’y remet.” 

J’ose espérer que j’y reviendrai dans ce carnet de bord ^^.

Pour ces pauvres chiens, la route est encore longue.

Cartaventura : Caravanes

Caravanes, c’est le genre de bonne surprise qu’on ne peut pas refuser. Je venais de finir mon travail sur 1400 quand Simon de BLAM ! est venu me trouver pour me proposer d’écrire des épisodes pour une série de petits jeux de cartes narratifs dont il préparait la sortie. Cette série, c’est les Cartaventura, et c’est une véritable bombe. Limpide, ancré dans une réalité historique documentée et nuancée, illustré par de superbes aquarelles dans la plus pure tradition des carnets de voyage, le projet avait tout pour me plaire. 

Après quelques échanges, nous tombions d’accord : mon premier épisode couvrirait les pérégrinations d’Ibn Battuta, l’équivalent musulman de Marco Polo, à travers l’orient médiéval. Supervisé par l’Institut du Monde Arabe, l’épisode a demandé un travail de documentation gigantesque pour pouvoir raconter autant de contrées dont j’ignorais tout. 

Mon rôle dans cet épisode touche à sa fin. Le jeu est prêt à jouer. Le texte est quasi-définitif. Il ne me reste qu’à rester à disposition de l’éditeur pendant qu’il amène le jeu vers sa sortie, et à commencer à réfléchir à l’épisode suivant.

Caravanes, c’est dans la boîte !

T-Rex

Une autre bonne surprise. Vers la fin de l’été, Origames et la Boîte de Jeu, les éditeurs de Cerbère, sont revenus vers moi pour me proposer de refondre le jeu. Pour rappel, Cerbère est mon plus grand succès, qui constitue l’essentiel de mes droits d’auteur. Voilà trois ans qu’il se vend bien, porté par la relation particulière qu’il installe entre les joueurs (seul Galérapagos propose une expérience vaguement comparable). Mais pour un tas de raisons, le toutou à trois têtes n’a pas su s’implanter dans les grandes surfaces spécialisées, ni vraiment eu sa chance à l’export. La plupart de ses ventes ont lieu dans les petites boutiques, en France. Pour l’éditeur, il y a là une occasion manquée. 

Cette refonte, (ou tentative de faire du neuf avec du vieux, si vous préférez) n’est pas un phénomène unique dans le monde ludique, loin de là. En changeant le nom, le thème, l’aspect d’un jeu et certaines mécaniques, un éditeur peut se réapproprier une licence qu’il vient d’acquérir ou donner un second souffle à un de ses produits qui n’avait pas réalisé son plein potentiel. Ainsi, Cloud Nine est devenu Célestia, Himalaya est devenu Lords of Xidit, et Vinci est devenu l’incontournable Small World. Mon cerbère, lui, deviendra un tyrannosaure. 

Pour moi (outre que je ne boude pas de voir mon bébé dévorer de nouveaux marchés), c’est l’occasion de revenir sur des points de design qui auraient pu être mieux fait. Changer le thème et simplifier le contenu aurait suffit ; j’ai refait le système entier. C’est allé surprenament vite : trois mois après le début du développement, je me sens assez confiant pour montrer mon prototype au public. Il y a encore du taf, mais la ligne d’arrivée brille à l’horizon.

T-Rex débarque, et il a les crocs !

Tromelin

Là, j’ai craqué. J’avais déjà les mains pleines. Mais un confrère et voisin, Johan Benvenuto (Cortex, Cowboy Bebop…) m’invitait depuis des mois à visiter son collectif d’auteurs. Johan ne travaille que sur des co-créations. Il en fait beaucoup, et il les fait vite. C’est une approche très différente de la mienne, et j’étais curieux de voir ce qui ressortirait de l’échange.

Au cours du brainstorming, il m’a raconté une histoire qui m’a frappé, celle d’un groupe de naufragés échoués pendant 15 ans sur l’île de Tromelin. Les robinsonnades sont un thème répandu dans les jeux, mais pas comme ça. L’histoire est horrible. Elle peut donner une expérience unique.

Nous voilà partis. Impossible de dire à ce stade si l’idée aboutira. Peut-être que l’expérience visée ne fonctionnera pas. Peut-être qu’elle sera trop longue et difficile à développer, et l’un de nous deux s’en détournera pour privilégier d’autres projets. Peut-être que nous tenons une pépite. J’ai envie de battre le fer tant qu’il est chaud.

Les naufragés de Tromelin contemplant leur avenir incertain.

Cinq projets “actifs”, donc, tous à des stades d’avancée différents. Ça suffit largement. Dans ce carnet de bord, nous allons suivre leur progression, cahin-caha, vers la ligne d’arrivée. 

Un petit tableau de bord, ça ne fait pas de mal.
Hello asso

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4 réponses

  1. Piks Ludik dit :

    Très intéressant, il me tarde de voir la suite 🙂
    Sol est très sympa, mais je suis très curieux de connaitre les changements qui seront faits sur Cerbere. C’est un jeu que j’aime beaucoup, très original, mais j’ai l’impression que c’est beaucoup plus amusant de jouer Cerbere. Et du coup, si les joueurs font ca dès le début, ca enlève l’interet du jeu. Je trouve aussi que les cartes donnent une première impression de jeu compliqué, surtout pour les premiers joueurs. Je ne sais pas trop comment l’expliquer, alors qu’en vrai c’est plutot simple mais du coup ca peut freiner un peu les joueurs. Alors que le jeu est très bon. Est-ce que vous avez travaillé cet aspect ?
    En tout cas, je suivrais les prochaines sorties avec grand interet…

    • Pierre Buty dit :

      Bonjour Piks, merci de ton intérêt pour mes jeux 🙂
      Oui, décourager le suicide de masse et simplifier la manipulation des carte fait partie des objectifs de la refonte. C’est un peu compliqué de résumer mes pistes en un commentaire, il vaut mieux traiter ça en détail dans un prochain article. Mais c’est tout en haut de la liste ^^

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