[Entretien avec] Miguel Coimbra, l’illustrateur qui fait des merveilles
7 Wonders, Cyclades, Small World et j’en passe, vous connaissez ? De bons, de très bons jeux sublimés par un beau coup de patte visuel. Eh bien nous avons le plaisir de nous entretenir avec Miguel Coimbra, l’illustrateur de ces jeux très connus de la ludosphère. Il vient nous parler de son parcours, de ses travaux d’illustrations dans le monde du jeu de société et de ses projets.
Peux-tu nous décrire ton parcours avant d’en arriver à l’illustration du jeu de société ? J’ai cru comprendre que tu étais autodidacte. Comment fait-on pour réussir à devenir illustrateur sans passer par une école d’illustration par exemple ?
Oui, je suis autodidacte, j’ai essayé un concours d’école d’art appliqué ou j’ai lamentablement échoué (je n’étais pas vraiment préparé) ; je me suis lancé dans un cursus technique pour rentrer vite dans la vie active, je n’ai pas pour autant laissé tombé le dessin, je l’ai beaucoup pratiqué pendant mon temps libre jusqu’à avoir un niveau suffisant pour avoir un job dans le milieu, en gros pas mal de nuits blanches, une vie sociale réduite et beaucoup de travail, je ne le conseille à personne, l’école c’est beaucoup mieux, rien que pour le cadre et l’émulation entre élèves, on n’est pas seul .
Parle-nous de tes premières illustrations dans le monde du jeu il y a plus de 10 ans de cela (BattleLore, Giants, Small World, Magnifico, Cyclades …). Comment avoir réussi à percer dans le monde du jeu et comment ce sont passées ces premières collaborations avec les auteurs ?
J’ai tout simplement envoyé un book par e-mail à Days of Wonder à l’époque, j’ai eu un entretien à l’ancienne dans leur locaux, le premier job sur BattleLore s’est très bien passé, du coup, de fil en aiguille les jeux se sont enchaînes, un projet en appelle souvent un autre .. BattleLore a appelé Giants, Giants, Smallworld, Cyclades, Seven Wonders et ainsi de suite ..
On a l’impression que tu utilises beaucoup l’outil informatique ? Est-ce exclusivement le cas ? As-tu évolué dans l’utilisation de outils d’illustration ou dans tes techniques ?
Comme je suis autodidacte, j’ai beaucoup appris via Internet, donc par l’outil informatique, je dessine très peu sur papier ; j’ai une façon de travailler très spécifique à ce média, j’ai beaucoup de mal à trouver un outil équivalent en traditionnel, donc je reste essentiellement sur cette plate-forme,
Tu dis n’être pas plus passionné que cela de mythologie et pourtant tu as dessiné de nombreuses hydres, cerbères ou créatures mythologiques. Les thèmes liés à l’antiquité semblent t’aller à ravir (Cyclades, 7 Wonders, Nessos, Cléopatre – la société des Architectes). Comment expliques-tu cela ?
Je regardais les chevaliers du zodiaque ?:-) Plus sérieusement j’adore le thème du fantastique, qui puise essentiellement son inspiration dans les mythes et légendes, il est donc naturel que je me retrouve pas mal dans ce thème. Il peut y avoir aussi une différence entre ce qu’on aime lire ou regarder et ce qu’on aime dessiner ; par exemple je ne suis pas fan de western, mais j’adore dessiner des cow-boys et des indiens.
Cependant ce n’est pas les seuls univers que tu as été amené à illustrer. Quels sont les univers que tu as apprécié à illustrer alors que tu n’y étais pas familier ?
J’ai beaucoup aimer dessiner Fairy Tile, les contes ce n’est pas trop mon truc mais le challenge était super intéressant et sortir de sa zone de confort ça nous rend meilleur paraît-il.
Quels sont ceux qui t’ont demandé le plus de recherches ? Donc ceux qui t’ont pris le plus de temps à illustrer et celui qui t’as posé le plus de soucis à illustrer ?
Quand il faut coller à une vraie réalité historique, qu’ il faut vraiment se documenter pour ne pas dessiner n’importe quoi et se faire insulter par le premier joueur érudit qui passe:) ça m’est plus arrivé dans l’illustration de presse ou jeunesse, une couverture sur les esclaves m’a rendu presque dingue… Dans le jeu de société on dessine souvent des thèmes fantasques donc pas trop de soucis sur le coté documentation, coté recherches j’ai en mémoire Fuji Koro, j’ai beaucoup réfléchi au style et le thème du japon médiéval est un thème que j’affectionne, je voulais dessiner des femmes samurai par exemple, je me suis documenté (et elles ont vraiment existé), j’ai également essayé de sortir des clichés physiques, faire vraiment quelque chose d’original au niveau du style graphique, et ça, ça demande pas mal de travail en amont.
Peux-tu nous parler de tes expériences de co-illustration de jeux (Imhotep, La Cité des Voleurs, Intrigo …) Comment cela se passe-t-il en général avec un autre illustrateur ? Est-ce plus facile ou au contraire c’est compliqué de s’accorder ?
Alors Imhotep, j’ai fais le starter tout seul :-). Ils ont ensuite repris certaines de mes illustrations pour l’extension où j’ai juste fait la couverture ; dans ces cas là c’est un peu transparent, on réalise quelques illustrations sans faire tout le jeu, ça reste assez simple.
Pour La Cité des Voleurs, Intrigo, j’ai fais de la colorisation/mise en volume de croquis d’Edouard Guiton ; je n’ai quasiment réalisé que des « colos » de lui , j’adore son dessin et j’ai accepté de faire les couleurs de quelqu’un d’autre quasi uniquement parce que je suis fan de son travail, il faut que j’admire le dessin d’une personne pour pouvoir en faire la mise en couleur.
Même si tu n’es pas crédité en 1ère de couverture des boîtes de Seven Wonders, ce jeu a sûrement changé beaucoup de choses dans la place que tu peux avoir dans le monde de l’illustration du jeu de société. Concrètement, cela a changé quoi ? Et Sans jeter de cailloux dans la mare, ni l’opprobre sur qui que ce soit est-ce encore normal de ne toujours pas être crédité sur la couverture d’une boîte de jeu de société ? Mais penses-tu qu’il y a tout de même une évolution de la place de l’illustrateur dans le monde du jeu par rapport à l’auteur ou l’éditeur ? Qui propose, qui dispose ?
Alors je suis crédité mais derrière la boite ..:-) (NDLR : oui tout en bas à gauche). Clairement ça a changé beaucoup de choses, 7 Wonders et Smallworld sont mes cartes de visites et encore aujourd’hui on me propose des projets car j’ai réalisé ces deux jeux.
Et c’est un grand débat concernant la place de l’illustrateur dans le succès d’un jeu ; perso je pense que tous les jeux devraient créditer l’illustrateur en 1ière de couverture, je ne suis pas très objectif, je suis illustrateur … Mais quand même … aujourd’hui il est rare de voir un jeu moche, l’esthétique d’un jeu prend une part indéniable dans la prise de décision d’achat, les éditeurs en sont bien conscients et je pense que les auteurs pour avoir discuter avec nombre d’entre eux le sont aussi pour la plupart.
Tu as lifté 7 Wonders et pour son 10ème anniversaire. Comment ont été fait les choix d’illustration pour cette nouvelle version ?
Pour le lifting, il s’agit essentiellement de la couverture pour le coup, les merveilles étant des versions météorologique ou temporelles différentes, donc pas de grand questionnement dessus. La couverture a suscitée pas mal de débat et d’essais. On a essayé des versions et des compos totalement revisitées mais ça ne marchait pas trop, l’ancienne couverture de 7 Wonders était trop ancrée dans le paysage ludique ; d’où l’idée d’un lifting plutôt, avec des améliorations de placements/couleurs, des réagencements et mes progrès à moi aussi sur une douzaine d’année 🙂
Quel est le jeu dont tu es le plus fier à ce jour ?
C’est difficile à dire j’arrive pas à me décider aller je vais en cité plusieurs : 7wonders pour la renommée, l’aura que le jeu apporte au paysage ludique ; Smallworld pour la quantité phénoménale de travail dessus et Fuji Koro pour l’affection que j’ai pour le thème, le style employé et le matériel que je trouve sublime, le produit final est très beau.
Peux-tu nous parler de tes sorties actuelles ? Cléopatre et la société des Architectes, Kitara, l’extension Agora pour 7 wonders Duel ? Comment ce sont passés tous ces projets ? Les relations avec les éditeurs ? Et libertés et/ou les limites que l’on t’a donné dans ces projets ? Et finalement, aimes-tu être guidé ou avoir plus de liberté ?
Des projets très différents …
Cléopâtre et la société des Architectes chez Lucky Duck Games est une refonte d’un jeu existant, il fallait revisiter avec un style peut être plus tape à l’œil que l’ancien, beaucoup de travail sur les sculptures et les matériaux physiques (figurines et décors), un projet très intéressant et on m’a donné beaucoup de libertés ; j’ai fait pas mal de direction artistique aussi au final, que ce soit sur les sculptures ou le design graphique.
Kitara est un jeu avec des mécaniques établies mais dont j’ai pu choisir et développer le thème (à choisir parmi plusieurs proposés par l’éditeur), encore une fois avec Iello j’ai eu beaucoup de liberté artistique ; j’ai pu m’éclater sur le style graphique, proposer des idées, bref, une très très chouette collaboration
Agora (voir le Test sur Undecent.fr) chez Repos Production c’est encore autre chose puisqu’il s’agit d’une extension, contexte particulier je l’ai réalisée pendant le confinement, ce genre de projet est assez unique, il y a forcément un peu plus de pression car le jeu est très attendu ; dans ces cas-là je me mets en zone de confort et j’essaie de coller un maximum à la charte graphique du projet et garder la continuité de ce que j’ai fait avant.
En général, je préfère avoir forcément plus de liberté, c’est un peu le rêve de tous les créatifs, après ça peut être piégeux car il faut que ce soit également compatible avec la vision de l’éditeur/auteur.
Que conseillerais-tu à un jeune qui veut se lancer dans l’illustration de jeux ? Que ne faut-il surtout pas faire ?
Ce qu’il ne faut pas faire : se vendre au rabais, juste pour le plaisir de figurer sur un jeu ; vous avez travaillez toute votre vie pour arriver à ce niveau, ce dessin qui va peut-être prendre 2h à faire c’est un aboutissement, un long périple, il ne faut pas brader son travail et avoir peu d’estime de soi sous prétexte de vivre de sa passion 🙂
Tu illustres ou a illustré de nombreuses couvertures de livres. En quoi est-ce différent de l’illustration du jeu de société ?
Il n’y a pas les mêmes contraintes forcement, un plateau de jeu par exemple a son gameplay, il faut avant tout servir le jeu, qu’il soit beau ok.. Mais il faut surtout qu’il soit bon et agréable à jouer. Une couverture de roman doit vendre le livre, un univers.
En tant que joueur, quel est ton jeu préféré ?
Je ne joue pas tant que ça 🙂 ; allez je vais dire Times up et Magic bien sûr (il a inspiré tellement d’autres jeux).
Quels sont les projets d’illustration de jeux qui sont en cours ?
Je dessine un jeu qui s’appelle Wizard and Co, bientôt en kickstarter, un jeu de cartes et donjons. Un autre jeu assez top secret avec du matériel inédit dans le jeu de société, très technique un véritable casse-tête où je m’arrache les cheveux mais avec un résultat à la clef vraiment « waouw » (c’est ce que j’ai dit quand j’ai vu le proto ..:-) )
As-tu des projets hors du monde ludique ?
Je continue à réaliser des couvertures de romans, c’est à peu près tout sinon la quête de l’amour et la liberté ?
Pour terminer cette interview, je te propose de sortir le jeu Questions de merde de chez le Droit de perdre et de répondre à une série de questions (9 au total). Tu peux y répondre plus ou moins sérieusement et pour reprendre les mots des auteurs Franz Lejeune et James Fabian :
Que vos réponses volent haut ou pas ne changera pas votre destin … Alors lâchez-vous ! … Envolez-vous ! Au fond, qui n’a pas déjà eu envie de s’envoler loin, aussi loin que possible …
Ma femme a sélectionné les questions … 3 cartes, 9 questions, prêt ?
Première carte
Quelle serait ta première question à une voyante ?
Trump sera-t-il à nouveau président ? (Précision, la question a été posée avant l’élection !) Ou alors va-t-on survivre à 2020 ? J’hésite.
Dans quelle situation pourrais-tu en venir aux poings ?
Aucune je suis 100% pacifiste, (bon j’avoue le type qui touche à un de mes gosses ..)
Qu’as-tu envie d’essayer quand tu seras à la retraite ?
On m’a parlé de ce truc… ça existe ?
Deuxième carte
Quelle est la raison la plus ridicule pour une rupture ?
« j’aimais mieux quand on était potes ? »
A ton avis, en quoi seras-tu réincarné ?
Chèvre ?
Que fais-tu pour tomber malade quand tu sens les premiers symptômes ?
Il y a des gens qui aiment être malade ? Être malade ça ne m’apporte que des ennuis perso vu que je ne suis pas salarié ..
Dernière carte
Si je te dis religion, tu me réponds quoi ?
Géopolitique et guerres
Qu’est ce qui est mieux quand on vit à l’étranger ?
Les impôts ?
Quelle bonne nouvelle t’as le plus réjoui cette année ?
La fin du confinement !
Chers lecteurs, si vous avez aimé les dernières questions de cette interview, vous pouvez les retrouver dans le jeu “Questions de Merde “ chez Le Droit de Perdre.