Guillaume Luton
Aujourd’hui j’ai le grand plaisir d’interviewer Guillaume Luton, le boss de Worldwide games et l’auteur de WorldWide football et le futur WorldWide Tennis !
Salut Guillaume, tout d’abord, merci d’avoir accepté cette interview !
Peux tu nous décrire ton parcours ?
Dans le “civil”, j’évolue dans le secteur de la gestion de patrimoine après avoir obtenu un master 2 en droit. Pour résumer, mon métier consiste à analyser la situation patrimoniale de particuliers sous des angles juridique, financier et fiscal puis à formuler un conseil adapté, tenant compte des objectifs exprimés par ces personnes. Je crois que c’est un profil assez original dans le milieu du jeu, où j’ai la sensation que les enseignants et les personnes à formation scientifique sont bien représentés !
Dans le monde ludique, on peut dire que je suis auteur de jeux depuis mes plus jeunes années. À 10 ans, je pouvais passer beaucoup de temps à refaire les matchs de l’OM ou des étapes du Tour de France avec des jeux de mon propre cru. Le tout avec un plateau de jeu bricolé sur une feuille A4 ainsi que quelques dés et pions récupérés un peu partout. Évidemment, ces jeux n’avaient rien de chefs-d’oeuvre et s’en remettaient quasi exclusivement au hasard. Mais je m’amusais beaucoup et cela m’a permis de réaliser quelques-uns de mes rêves de l’époque, comme voir Richard Virenque gagner le Tour de France !
J’ai progressivement délaissé cet univers, mais celui-ci a fini par me rattraper au gré des circonstances de la vie. Et en 2015, j’ai commencé à me lancer dans la conception d’un jeu de cartes sur le tennis ; puis à adapter sa mécanique au football. Ce dernier projet prendra finalement le dessus, et c’est au FLIP, en plein Euro 2016, que je présente pour la première fois Worldwide Football au grand public. L’accueil fut extrêmement positif !
J’ai fini par créer Worldwide Games en 2017, d’abord en tant qu’entrepreneur individuel puis sous la forme d’une structure sociétaire, ma conjointe m’ayant rejoint dans l’aventure. Mon idée était avant tout d’éditer Worldwide Football, pour lequel j’avais du mal à trouver un éditeur, sans trop savoir s’il y aurait une suite. Cela a marché mieux que je ne l’aurais imaginé et j’ai fini par sortir deux extensions pour Worldwide Football. J’ai également ressorti le proto de Worldwide Tennis de mes cartons pour lui donner une chance d’être publié.
Quel est ton processus de création ?
Beaucoup d’auteurs partent d’abord des mécaniques et ne trouvent le thème qu’après un certain temps. J’en suis pour ma part incapable !
Au point de départ de mes créations, il y a toujours un instant de vie, une sensation que je veux retranscrire dans un jeu. Cela définit une sorte de ligne directrice dont j’essaye de m’écarter le moins possible. C’est très important parce que cela me permet de savoir dès le départ où je veux aller.
Si on prend l’exemple de Worldwide Football, je voulais vraiment que l’on ressente ces montagnes russes émotionnelles que l’on peut vivre quand on regarde un match de son équipe préférée. Il me fallait pour cela un jeu fluide, où les joueurs sont toujours actifs et impliqués. Je voulais aussi que le fait de marquer un but reste un événement exceptionnel. Cela doit être une vraie libération : en football, l’échec est la règle et le but, l’exception.
Une fois cette ligne de conduite définie, j’essaye de trouver une mécanique qui corresponde à la fois au thème que je veux traiter et à l’objectif que je me suis donné. Vient alors le moment de fabriquer un premier proto pour jouer une première partie… et se rendre compte que c’est beaucoup moins bon que ce que l’on avait imaginé. Tout le reste n’est qu’une succession de retouches, d’ajouts, d’élagages et d’équilibrage.
Pourquoi avoir décidé de créer ta propre maison d’édition plutôt que de proposer ton jeu aux éditeurs existants ?
Lorsque vous proposez un prototype à un éditeur, celui-ci arrête en général de vous écouter dès l’instant où vous lui dites que cela parle de sport, et a fortiori de football.
Je vois principalement deux raisons à cela. La première, c’est qu’on a vu un nombre impressionnant de jeux sur le football se planter. Il y a bien des contre-exemples comme le Subbuteo ou le Buteur de notre enfance, mais elles commencent tout de même à dater. Résultat : le football est perçu comme un thème à éviter à tout prix. Ma conviction est que dans les jeux sur le football, le problème n’est pas tant le football que les jeux. Trop d’éditeurs ont peut-être pensé qu’il suffisait de surfer sur ce thème populaire pour connaître le succès, sans prendre la peine de proposer une mécanique vraiment intéressante.
La deuxième, et j’ai pu le constater à de nombreuses reprises, c’est une forme de mépris de classe du milieu ludique envers le football. Bien sûr, je caricature un peu. Mais une chose m’interpelle : un jeu sur un thème colonialiste sera toujours mieux perçu qu’un jeu sur le football.
Derrière cette posture de rejet, je vois une aversion bien compréhensible pour ce qu’est devenu le football : une discipline où il est finalement plus question d’argent que de sport. Mais avec Worldwide Football, j’essaye justement de rétablir une vision romantique du football : celle de l’amour du maillot, des matchs à suspense et des retournements de situation improbables.
Pour en revenir à la question initiale, je n’avais pas vraiment le choix si je voulais voir mes jeux exister : il fallait les éditer par moi-même.
Quelle est la ligne éditoriale de WorldWide Games ?
Notre objectif est de développer une gamme de référence sur les jeux à thèmes sportifs. Le sport et la chose ludique ont une histoire assez compliquée et nous voulons tout simplement les réconcilier.
Pour cela nous essayons de faire des jeux qui parlent à la fois au public “joueurs” et au public “amoureux de sport”. Ce qui implique, dans l’idéal, de proposer des jeux accessibles, abordables, pas excessivement longs mais offrant une vraie courbe de progression.
Je suis l’auteur de nos deux premiers jeux (Worldwide Football et Worldwide Tennis qui arrive bientôt sur Kickstarter). Cela étant, on ne s’est jamais interdit d’éditer un jeu d’un autre auteur, y compris sur un thème qui ne soit pas sportif. Il suffit simplement d’avoir un coup de cœur pour un prototype.
Peux tu nous décrire ton prochain jeu, WorldWide Tennis ?
Il faut savoir que le tennis est mon sport préféré. Je l’ai pratiqué pendant vingt ans et je continue d’en suivre l’actualité pratiquement tous les jours. Du coup, je me suis mis une certaine pression sur ce projet : je voulais plus que jamais rester fidèle à l’esprit du sport que j’aime tout en proposant un jeu vraiment intéressant. Le succès d’estime de Worldwide Football a aussi créé une véritable attente chez certains joueurs et je n’avais pas envie de les décevoir.
Le développement a donc été assez long (cinq ans si on revient au tout premier proto) parce qu’il a fallu trouver les moyens de rendre fun un sport fondamentalement répétitif. Mais je suis aujourd’hui vraiment satisfait du résultat, qui remplit le cahier des charges que je m’étais fixé au départ.
Worldwide Tennis est donc un jeu pour 2 joueurs (avec un mode solo) qui va vous faire vivre toute l’intensité d’un match de tennis au moyen de cartes et d’un plateau de jeu. Chaque carte représente un coup qui va déplacer votre adversaire à un endroit donné du terrain. Ce coup peut être plus ou moins risqué. Évidemment, plus le coup que vous tentez est risqué, plus il aura de chances de mettre votre adversaire en difficulté… à condition de ne pas commettre vous-même la faute qui vous fera perdre le point ! A cela va s’ajouter une dimension “gestion de main” puisque les déplacements à répétition sur le court vont réduire le nombre de vos cartes en main : c’est la simulation de la fatigue. Du coup, il est parfois préférable de laisser filer un point pour s’économiser pour les points suivants. Ce qui est assez conforme à la réalité sur le court !
Worldwide Tennis a donc une véritable dimension tactique. Mais j’ai aussi tenu à ce qu’il reproduise certaines spécificités du tennis. Par exemple, vous avez la possibilité de jouer sur quatre surfaces différentes, chacune d’entre elles ayant ses propres caractéristiques. Un jeu offensif sera ainsi bien moins payant sur terre battue que sur surface synthétique. Et cela s’intègre de manière parfaitement indolore pour quelqu’un qui n’y connaîtrait pas grand chose, tout en procurant une très belle rejouabilité.
Où sont distribués tes jeux ?
Depuis le mois d’avril 2020, nous sommes distribués par Pixie Games. Cela doit nous permettre d’améliorer notre implantation, notamment en Belgique ou en Suisse où nous n’étions quasiment pas présents jusqu’à aujourd’hui.
Nous étions précédemment distribués par Surfin’ Meeple. Bien que nous ayons fait le choix de mettre un terme à notre partenariat, je dois les remercier de la confiance qu’ils nous ont accordée à l’époque : les professionnels n’étaient pas nombreux à croire en nous !
En tant que joueur quel(s) est(sont) ton(tes) jeu(x) préféré(s)?
Difficile de n’en citer qu’un ! De manière générale, j’aime les jeux qui offrent une grande profondeur stratégique et/ou tactique avec un minimum de règles. Easy to learn, hard to master comme disent les américains. A ce niveau-là, je trouve que Jaipur est une véritable référence : c’est un jeu qui regorge de petites subtilités et où la courbe de progression est bien plus longue que ce que l’on imagine au moment de la découverte.
J’aime aussi énormément le backgammon, au point d’y avoir joué dans un cadre compétitif. (j’en profite pour saluer le Backgammon Club Rochelais). Il y a d’abord le plaisir de manipuler les pions et de lancer des dés sur un joli board (en général, les joueurs de backgammon aiment bien le beau matériel). Mais j’aime surtout le fait qu’on puisse y assister à des retournements de situation hallucinants et qu’à la faveur des dés, un débutant puisse battre un champion du monde sur un match. Malgré tout, le jeu reste assez exigeant et a toujours quelque chose à vous enseigner.
Récemment, j’ai mis un pied dans le monde du jeu expert en m’essayant à Terraforming Mars. C’est une expérience que j’ai adorée !
Je dois enfin dire tout l’admiration que je porte à Jean-Christophe Bouvier pour Rallyman et Rallyman GT. J’ai renoncé à créer un jeu de course automobile car je pense qu’il s’agit là de références insurpassables sur ce thème.
Quel serait selon toi un jeu sous-coté ?
J’ai l’impression que Football Highlights 2052 est sorti dans une indifférence générale, de ce côté-ci de l’Atlantique comme de l’autre côté. Je pense pourtant qu’il mérite autant de buzz que Baseball Highlights 2045.
As tu un scoop à nous partager ( sport du jeu après WorldWide Tennis par exemple? )
Nous venons de signer notre premier jeu avec un auteur qui ne soit pas moi !
Il s’agit d’un jeu de placement de tuiles sur le thème de la construction d’une ville. Nous avons découvert le proto à Cannes et ce jeu m’est apparu comme une évidence.
Pour continuer cette interview, je te propose de sortir le jeu “Questions de merde”
Je tire 3 cartes, prêt?
Voici les questions de la première carte:
Quelle est la toute dernière chose que tu fais avant d’aller au lit ?
Je me brosse les dents.
Quel talent as-tu gâché ?
Je suis capable de lire de manière très fluide un texte que l’on me présente à l’envers. Je ne sais toujours pas à quoi cela peut me servir.
Quelle mission serais-tu prêt à confier à ton clone?
Tout ce qui touche au matériel dans mon activité d’édition de jeu : la direction artistique, la PAO des fichiers, etc…
À côté de ça, j’ai du goût pour certaines tâches que mes confrères trouvent souvent rébarbatives comme la comptabilité et les impôts.
Voici les questions de la deuxième carte:
Quelle est la règle la plus importante pour être en forme ?
Etre à l’écoute des signes que notre corps nous envoie. Par exemple, je suis un vrai couche-tôt : dès que les premiers signes d’endormissement arrivent, je pars me coucher (et je me brosse les dents avant, évidemment).
De quelle victoire peux tu te vanter ?
J’ai gagné un titre de champion de France de backgammon. En catégorie “débutants”, certes, mais ça reste un joli trophée. Et je suis également très fier d’avoir couru un marathon.
Qu’écrirais-tu dans ton testament si tu devais le rédiger aujourd’hui?
En fait, il existe déjà ! Et on y trouve des trucs juridiques pour que ma conjointe et ma fille soient le mieux protégées possible.
Mais je devrais aussi ajouter cette phrase : “Je pars en paix, je ne regrette rien.”
A quelle époque aurais tu aimé vivre ?
Les années 60. Parce que l’époque me semble assez insouciante. Et que le France des Tontons Flingueurs, elle avait quand même de la gueule.
Quelle petite erreur est capable de te faire entrer dans une colère noire ?
Une gaffe au backgammon alors que j’aurais pu l’éviter avec un minimum d’attention.
Comment expliquerais-tu à un enfant comment faire des bébés ?
“Demande à maman” 🙂
Blague à part, je lui dirais probablement la vérité. Avec des mots adaptés, évidemment.
Merci beaucoup, Guillaume d’avoir répondu à mes questions! On va suivre avec intérêt la prochaine campagne participative de WorldWide Tennis!
Chers lecteurs, si vous avez aimé les dernières questions de cette interview, vous pouvez les retrouver dans le jeu “Questions de Merde “ chez Le Droit de Perdre.