Auteur, carnet de bord # 01 – créer par temps de COVID
Qu’est-ce qu’il a pu être contrariant, ce mois de décembre !
Bon, décembre, c’est toujours un peu la pagaille. Il y a les vacances, les fêtes, il faut zigzaguer entre deux pots de fin d’année pour trouver des cadeaux à tout le monde, visiter la famille et la belle-famille… On y rajoute un double déménagement (nous y reviendrons) et ça commence à pas mal charger la mule. Dès le début du mois, je savais que les dix derniers jours seraient “improductifs” (en tout cas pas en ce qui concerne l’avancée de mes projets).
Et là dessus… COVID. Yay !
Le timing était impeccable. Le jour même de la publication du premier épisode de ce carnet (30 novembre, si ma mémoire est bonne), ma compagne se faisait diagnostiquer un covid. Elle me l’a refilé, on est restés en tête à tête pendant deux semaines, on a rigolé un coup découvrant la cuisine sans odorat, et heureusement pour nous tout s’est bien passé. On était libres pour les fêtes.
Mais pendant deux semaines, plus de soirées jeux. Plus de copains qui passent, plus de sortie en bar ludique, plus de rencontres avec les collègues CAListes. 14 jours dans ce mois bien encombré où ma capacité de faire des playtests était réduite à néant.
Les playtests, c’est ce qui permet d’avancer. C’est de voir les joueurs s’amuser (ou non) sur mes jeux qui me montre ce qui marche et ce qui ne marche pas, ce qui est trop compliqué, ce qui ne se passe pas comme prévu. Je peux passer la journée à moudre des chiffres pour équilibrer un jeu ou à bricoler un prototype aux petits oignons. Mais si le soir je ne le mets pas à l’épreuve devant des joueurs, ça ne sert à rien de revenir dessus le lendemain. Si l’on veut faire de la création ludique une activité à temps plein, il faut pouvoir rassembler des joueurs quotidiennement, ou presque.
Donc 14 jours à l’ombre, ça ne m’arrangeait pas trop.
Du coup, j’ai fait quoi ?
Je me suis adapté. Bien obligé. Depuis deux ans, on a régulièrement du mal à rassembler des gens, alors on commence à avoir l’habitude. Depuis le Confinement (le premier avec un grand C), beaucoup de collègues se sont mis à réaliser leurs protos sur une plateforme de simulation ludique ou une autre (TTS, Tabletopia, BGA…) pour pouvoir les tester en ligne. Pour ma part, absorbé comme je l’étais à l’époque par l’écriture de 1400 puis de Caravanes, j’ai pris un train de retard vers la dématérialisation. Je m’y met, petit à petit, mais j’ai pas encore le cercle de e-testeurs qui va avec.
Au final, c’est T-Rex qui m’a occupé ces deux semaines. Je me suis assis devant mon prototype, je l’ai fixé dans les yeux en faisant craquer mes doigts. Puis j’y ai joué, encore et encore. Seul.
Ceux parmi vous qui connaissent sa première mouture, Cerbère, se grattent peut-être la tête en se demandant comment c’est possible. Un gars, tout seul, qui joue une demi-douzaine de rôles différents. Qui négocie avec lui-même pour conclure des alliances de certains pions contre d’autres. Puis qui les trahit. Puis qui se venge. On dirait un truc qui nécessite d’être plusieurs dans sa tête.
En fait, ça se fait. J’avais déjà recours à ce genre de simulation pendant le développement de Cerbère, mais de façon moins intensive. Le jeu est plus tactique que stratégique. Il suffit de ramasser les cartes d’un joueur et de regarder sa position sur le plateau pour voir quelles sont ses options. Quant aux interactions sociales entre joueurs, quelques comportements scriptés font le job. (« Par défaut, chaque joueur joue de façon à favoriser le joueur suivant en espérant sa gratitude, et un peu pour renvoyer la balle au joueur précédent. Si un joueur se retrouve dans une situation où ça chauffe trop pour ses fesses, il sauve sa peau… » Ce genre de script.) Ca ne remplacera jamais de vrais joueurs, bien sûr. Mais c’est un accélérateur bien pratique pour obtenir des informations sur l’équilibre général du jeu.
Par exemple : l’équipe T-Rex et l’équipe Aventuriers ont-elles toutes les deux des chances de gagner ? Quand les Aventuriers gagnent, est-ce que c’est avec un nombre de rescapés variables d’une partie à l’autre ? Est-ce que cela reste vrai aussi bien à 4 joueurs (configuration minimale) qu’à 8 (maximale) ?
Cerise sur le gateau : si on s’aperçoit que quelque chose est cassé (une carte trop ou pas assez forte, une règle qui gêne) et qu’on le change, il faut recommencer de compter à zéro.
Pour obtenir ces informations, il faut beaucoup de parties. Tellement que cela userait la bonne volonté des quelques fidèles qui viennent régulièrement participer à mes playtests. Ce genre d’info ne peut s’obtenir que lorsqu’on à sous la main des testeurs professionnels, une asso de joueurs ou le public d’un festival. Ou lorsqu’on passe deux semaines à enchaîner les simulations seul chez soi comme un Stakhanov schizophrène.
Merci du coup de pouce, Covid.
Et mes autres projets, dans tout ça ?
Mermaidz
Ma plus grosse frustration du mois. Je prévoyais de tester le design avec plusieurs familles, pour voir comment les enfants de différents âges réagissent au jeu. Si les résultats étaient encourageants, je caressais l’espoir de contacter des éditeurs dès janvier pour leur soumettre le jeu.
Au final, je n’ai pu rencontrer que deux familles. Une avec un garçon de 7 ans, une autre avec deux fillettes de 3 et 5 ans. Les fillettes étaient ravies de prendre des gros bijoux dans un trésor, mais la gestion des risques était plus difficile à faire passer. Pour la plus jeune, la seule notion d’attendre son tour était quelque peu mystérieuse. J’imagine que ce n’est pas une grande découverte, mais pour moi qui n’ait jamais fait de jeux pour jeunes enfants, c’était bien de placer quelques repères.
La bonne nouvelle, c’est qu’à 7 ans, le jeu avait l’air d’accrocher. Est-ce qu’il comprenait vraiment ce qu’il faisait ou qu’il imitait simplement ses parents ? Il faudrait de plus amples tests pour pouvoir le dire.
Pole Bound
Rien de nouveau de ce côté là.
Cartaventura : Caravanes
Caravanes suit sa route entre les mains de l’équipe de BLAM. Le travail d’illustration bat son plein, et à intervalle régulier je découvre de nouvelles aquarelles de Guillaume Bernon – et ça me réjouit. Voyez plutôt.
La validation des textes par Elodie et Tess, historiennes à l’Institut du Monde Arabe, a donné lieu à une série d’ajustements. La plupart concernaient des corrections linguistiques : les transcriptions de mots et de noms arabes changent selon la source, aussi l’aide d’experts était-elle indispensable pour fournir une version académiquement correcte. Leur regard plus large était également nécessaire pour remettre en contexte certaines informations que je pouvais trouver en ne les comprenant qu’à moitié.
Quelques exemples : une confrérie religieuse musulmane est-elle comparable à un ordre monastique ? Non, donc on ne peut pas utiliser les mots « moines » ou « monastère » sous peine d’égarer le lecteur. Combien de temps durent les rites du pélerinage à la Mecque? Le coucher du soleil correspond-il à la prière de l’après-midi ou du soir ? Plein de petits détails sur lesquels il est aisé de se tromper si l’on n’est pas soi-même plongé dans cette culture.
Les noms, enfin ! Les noms arabes sont une vraie littérature. Ils contiennent le prénom de la personne, mais peut-être aussi des surnoms, sa filiation réelle ou fantasmée (comme le nom d’enfants qu’elle n’a pas encore eu), sa tribu et lieu d’origine… Impossible d’écrire en entier de véritables noms d’époque dans le format restreint des cartes de Cartaventura (et le lecteur n’est pas prêt pour ça, croyez-moi). Nos historiennes ont largement contribué à choisir des noms qui soient à la fois corrects et intelligibles pour les personnages historiques qui émaillent le scénario.
Tous ces retours n’ont pas été le fruit d’une seule grosse étape de validation à la toute fin du développement. Cela s’est fait petit à petit au cours des mois. C’est un peu tard pour retracer tout l’historique de Caravanes, mais dans les mois à venir nous pourrons voir ça plus en temps réel pour autre opus de Cartaventura.
T-Rex
Comme dit plus haut, ça a bien avancé. Après mon marathon, j’ai emballé une version qui semblait répondre aux grosses problématiques de fin de parties et l’ai envoyé à mes éditeurs pour qu’ils y jouent à leur rythme avec leurs équipes. Ils m’ont annoncé qu’ils pourraient se pencher dessus début janvier, ce qui pour moi sonnait le signal des vacances.
Tromelin
On tire encore dans tous les coins, pour l’instant. Avec Johan, on avait fait quelques premiers prototypes (largement dysfonctionnels) au début du mois pour montrer nos idées à l’autre et trier le bon du mauvais. On a une piste de comment utiliser nos naufragés à l’échelle d’un tour, mais elle devient rapidement fastidieuse. Il nous faut une solution pour que les joueurs aient la sensation que la partie progresse.
J’ai déniché une BD super de Savoia qui traite de l’histoire des naufragés de Tromelin. Elle donne une vision plus nuancée, plus humaine aussi du déroulement des événements. J’ai besoin de la digérer un peu, parce que pour l’instant elle remet en question certains des apriori qu’on utilisait comme point de départ. Par exemple : il ne semblait pas si difficile de trouver à manger et à boire, sur l’île. C’est pour d’autres raisons que la population a chuté.
J’ai laissé la BD à Johan. On devra discuter de comment concilier les besoins du gameplay avec ces réalités historiques. Le jeu se cherche encore. Beaucoup reste à faire.
Les mois qui viennent vont être un peu chaotiques. Vous vous rappelez du double déménagement mentionné au début de cet épisode ? Ma compagne et moi avons pris une demie-année sabbatique pour voyager en Amérique du Sud. Cela ne veut pas dire la suspension totale de mes activités d’auteurs (j’en serais bien triste), mais cela va causer un vrai changement de rythme. On en parlera plus en détail dans le prochain épisode.
Hasta pronto !
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