[Test] Pax Pamir, le « Grand Jeu » pour le contrôle des portes des confins de l’Asie
1-5 joueurs | Cole Wehrle | ||
14 ans et + | Cole Wehrle | ||
40-150 minutes | 2 Tomatoes Games | ||
Cartes, négociations, gestion de mains, contrôle de territoires | Histoire, Asie, Moyen-Orient, XIXème siècle, politique, | ||
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Pax Pamir ou la rivalité coloniale et diplomatique entre la Russie tsariste et l’Angleterre victorienne en Asie au XIXe siècle qui a amené, entre autres, à la création de l’actuel Afghanistan. WTF ! A moins d’être un féru d’histoire contemporaine, c’est a priori un sujet qui n’est pas trop porteur pour le commun des mortels ludistes. Mais si je vous dis affrontement, majorité, rivière de cartes, coalitions, gestion de main, contrôle de territoire, rejouabilité et j’en passe, ça commence à titiller l’amateur de kukenbois, non ? Et si j’ajoute que l’on va parler d’un jeu de Cole Wehrle, oui l’auteur du célèbre et original Root édité chez Matagot, là je pense que j’ai ferré le poisson.
Situons un peu notre affaire. Lorsque l’on parle de la série des « Pax », il en ressort récemment Pax Pamir. Pourtant la série des « Pax » est au départ un système de jeu riche en termes de stratégie, souvent très complexe et permettant d’émuler fidèlement certaines périodes historiques. Au nombre des jeux Pax, on peut citer Pax Emancipation (sur l’abolition de l’esclavage), Pax Viking, Pax Renaissance ou Pax Transhumanity (dans le futur). Ces derniers portent la patte d’un auteur Phil Eklund. Je n’ai joué à aucun d’eux mais il en ressort souvent des règles complexes, des parties très capilotractées à ne pas mettre entre toutes les mains.
Dans le cas de Pax Pamir, Second Edition, n’ayez pas peur ; certes, nous sommes dans la catégorie d’un jeu plutôt expert mais avec un auteur différent des autres Pax (Cole Wherle), avec principalement deux actions à son tour de jeu, avec du matériel à tomber par terre (des blocs en résine, des plateaux en carton très épais, un magnifique plateau en tissu à dérouler etc…), avec des mécaniques annoncées revisitées par rapport à la première édition de 2015 et une règle améliorée (intégrant l’extension Khyber Knives qui devenait indispensable pour jouer à la première édition d’une manière plus aboutie, le jeu passant de l’éditeur Sierra Madre Games à Wehrlegig Games pour la version anglaise). Le jeu présenté en Kickstarter à l’Automne 2018 avait récolté près d’un quart de million de dollars ! Pour notre plus grand bonheur nous avons droit à une VF que l’on doit à l’éditeur 2 Tomatoes et une distribution par Pixie Games.
Alors ta ta ta … l’accroche : 1826. L’Empire Durrani, une dynastie pachtoune, s’effondre ; incarnez un dirigeant afghan du XIXème siècle et tentez de forger un nouvel État. Durant cette période nommée le Grand Jeu, achetez des cartes personnages (toutes uniques) et posez-les dans votre Cour au fur et à mesure de votre progression dans le jeu. Vous pourrez alors occuper des territoires en y plaçant des tribus, des armées ou des routes et les contrôler si vous y êtes majoritaire. Interaction directe et indirecte, coalitions changeantes (britannique/russe/afghane), espionnages, pots-de-vin, trahisons, retournements en douceur ou violent de situation et points de victoire sont au programme. Et avec comme fil conducteur, l’incertitude d’avoir fait les bons choix et la crainte qu’un adversaire mette fin prématurément à la partie car il aura manœuvré tactiquement avec tellement de brio qu’il aura pris suffisamment d’avance sur tout le monde.
Pax Pamir, Second Edition est donc un jeu de Cole Wehrle, illustré par l’auteur pour 1 à 5 joueurs à partir de 14 ans pour des parties de 40 à 150 minutes (surtout les premières). En 2018, la campagne Kickstarter avait réuni plus de 3100 backers (contributeurs) pour un engagement de prêt de 245 000 $. Un reprint KS a même été lancé début 2020 et a permis d’engager plus de 400 000 $ !
Disponible depuis décembre 2020 et distribué par Pixie Games, Pax Pamir, Second Edition est un jeu exigeant de contrôle de territoires mais aussi de construction de tableau à base de cartes achetées sur un marché. Il va falloir élaborer un moteur économique qui ne devra pas vous priver des bons choix de cartes, car nous avons à faire à une économie fermée dans laquelle la banque n’aura pas beaucoup à vous donner à moins que vous preniez chez les autres …. Et nous tenterons d’être au bon moment dans la bonne coalition – afghane, russe et britannique – avec laquelle il faudra opportunément s’allier, ou se désaimer ….
Qu’est ce qu’on trouve dans la boîte ?
- 1 carte en tissu
- 1 plateau en carton rigide (marché de cartes d’un côté, carte géographique de l’autre)
- 5 plateaux de joueur
- 5 disques de loyauté
- 142 cartes
- 36 blocs en résine
- 55 cylindres en bois
- 36 pièces en carton
- 6 marqueurs en bois
- 1 marqueur en forme de tour en résine
- 1 livret de règles
Comment on joue à Pax Pamir ?
Mis en place :
Chacun prend un plateau joueur sur lequel il y a un rappel de certaines actions de jeu ; on y place 10 cylindres à sa couleur ; on déroule le plateau central en tissu blanc qui est une carte sur laquelle se trouvent les 6 régions, théâtre du Grand Jeu (Herat, Penjab, Transcapie, Kandahar, Perse, Kaboul). On y place les jetons en bois de contrôle de territoire. On y place à gauche le jeton Tour sur le secteur favorisé politique (violet) pour d’abord indiquer que nous sommes dans un début de partie très troublé …. On constitue un deck en fonction du nombre de joueurs, un peu à la manière de la pioche d’un Pandemic en faisant des petits tas qu’il faudra mélanger entre eux puis superposer. On y trouvera des cartes personnages de Cour, des événements et des cartes de contrôle de domination. On mets les 12 premières cartes sur le marché (en 2 lignes de 6 colonnes), le reste compose la pile qui alimentera la rivière des cartes marché. 2 aides de jeu (seulement) sont mises à disposition des joueurs. Chacun choisit un disque qui va indiquer avec quelle coalition il est allié en début de partie et donc avec laquelle on va pouvoir joindre nos forces pour dominer des zones sur la carte. Chacun prend 4 pièces … seulement. On fait un tas avec le reste des pièces.
Tour de jeu :
On a droit à deux actions par tour parmi : acheter une carte dans le marché et jouer une carte + peut-être faire des actions bonus gratuites.
- Acheter une carte :
Lorsque je veux acheter une carte du marché, je vais l’avoir à un prix qui va en augmentant (de 0 à 5 roupies) plus on va vers la droite. Lorsque je vais acheter une carte qui est plus éloignée sur la droite du marché je vais devoir placer une roupie sur chaque cartes située à gauche. Le premier emplacement à gauche est gratuit (un peu à la manière d’un Century, route des épices ou d’un Motu). Je peux donc récupérer cette carte et la placer dans ma main et ensuite je pourrai tout simplement la jouer (ou une autre carte de ma main).
- Jouer une carte :
Le cœur du jeu est la pose des cartes devant soi dans notre Cour. La pose est gratuite si personne ne gouverne la région concernée par la carte (j’explique plus loin ce que signifie gouverner), sinon il faudra payer un pot-de-vin – négociable – au joueur qui gouverne la région en lui donnant un nombre roupie équivalent au nombre tribus qu’il y possède. Pour avoir la majorité sur une région, il faut compter le nombre de vos tribus + vos blocs à votre couleur et en avoir plus que les autres (j’explique plus loin comment on pause une tribu ou un bloc) . Il faut bien comprendre ce qu’elles peuvent nous apporter. Sur la bonne centaine de cartes que l’on trouve dans la boîte, une cinquantaine seront disponibles pendant votre partie (les autres étant défaussées) ce qui tout de suite nous fait prendre conscience de la rejouabilité de Pax Pamir.
Que va-t-on trouver sur les cartes et quel est leur intêret ?
– Un personnage de cour avec un petit historique très précis du rôle qu’il a joué pendant cette période troublée. Très intéressant à lire pour celui qui est curieux. Ce sont souvent des éléments historiques inconnus tellement cette période et cet enjeu historique ne sont pas assez connus du tout un chacun. Ce qui est plaisant c’est de voir l’adéquation entre les actions que vous donnera la carte avec le rôle historique de ce personnage (diplomates étrangers, chefs tribaux, marchands baloutches, guerriers nomades, mercenaires pachtounes, espions etc …).
– Le nom d’une des 6 régions sur lesquelles se feront les actions du personnage en question (Herat, Penjab, Transcapie, Kandahar, Perse, Kaboul).
– Sous le personnage il peut y avoir un bandeau de couleur précisant son affiliation à une certaine coalition (afghane, russe ou britannique). Car une fois jouée dans sa Cour, sa présence sera l’unique moyen de vous faire changer de coalition ou de la renforcer avec un personnage influent supplémentaire.
– Plusieurs symboles :
En haut à droite, ce que nous apporte le personnage au moment où je vais placer la carte dans ma cour : Y placer une de mes tribus (un jeton en bois à votre couleur qui est sur votre plateau perso) ; placer un espion dans la cour d’un autre joueur ou de soi-même en plaçant un jeton en bois à votre couleur sur une carte de la même région que celle jouée (ce sera important dans le cadre de calculs de contrôles de dominations, ou pour faire l’action trahir expliquée plus bas) ; décaler le marqueur de faveur situé à gauche du plateau (ce qui va conditionner certains effets de jeu comme jouer des actions bonus) ; placer des armées. Dans ce cas on prend de la réserve un bloc de la couleur de sa coalition (vert, rose ou jaune) que l’on place à la verticale sur la région nommée sur la carte jouée ; placer des routes pour les caravaniers. On prend de la réserve un bloc sa coalition que l’on place, couché à l’horizontale, sur une des frontières de la région concernée (il permettra de faire des déplacements d’armées d’une région à l’autre) ; récupérer 2 pièces qu’il faudra rendre lorsque cette carte sortira de votre cour.
– En haut à gauche on trouve le renseignement sur le type de carte (le Régime) : En violet avec une couronne c’est le symbole politique qui permettra d’étendre sa cour, l’œil bleu de l’espion permet garder plus de cartes en main, les sabres croisés rouges sont le symbole militaire qui pourra trancher les égalités et potentiellement permettre à quelqu’un de remporter la partie en étant à égalité, enfin le symbole de commerce avec des plantes orangées pour empêcher nos adversaires de taxer, qui est une action qui va pas vous permettre de récupérer des roupies du marché .. s’il y en a.
- Au bas de la cartes nous avons les actions de Cour. Lorsque je place la carte jouée dans ma Cour, à partir de ce moment là j’ai accès aux actions spéciales de cette carte. Ces actions sont toujours disponibles dans la limite d’une action par carte (car il y en a sauvent plusieurs possibles). L’action de Cour compte pour une action parmi les deux disponibles (au même titre que Acheter ou Jouer) ou alors elle compte comme une action bonus si le régime de la carte est le même que le secteur favorisé de la carte.
– On peut faire des cadeaux en plaçant un marqueur d’influence de sa couleur sur son disque de loyauté. Cela permet de renforcer l’influence de ma coalition (on paye 2/4/6 roupies en fonction de l’emplacement du cadeau),
– combattre dans une région,
– déplacer des armées sur la carte ou des espions vers d’autres cartes,
– construire des blocs (armée ou route) mais pour cela il faut gouverner la région en question
– trahir en défaussant une carte sur laquelle on a ses espions en majorité. Cela permet de faire défausser des cartes chez l’adversaire ou chez soi (on peut donc s’auto-trahir) pour récupérer par exemple une récompense (barre à la couleur d’une des coalition située au bas des certaines cartes) qui ajoute un patriote à votre coalition.
Et d’autres petites règles : si les espions d’un adversaire sont majoritaire sur une carte de votre Cour, vous devrez lui payer un pot-de-vin pour effectuer l’action de la carte. Si des actions ont un prix (construire, faire un cadeau, trahir), on doit les payer sur les cartes placées le plus à droite du marché.
Une fois que j’ai réalisé mes deux actions – acheter / jouer/action de Cour – + mes actions bonus le cas échéant je vais pouvoir passer à la fin de mon tour au nettoyage.
Nettoyage :
Je vais vérifier que ma limite de Cour qui est de 3 cartes plus le nombre d’étoiles violettes n’est pas dépassée sinon je dois enlever des cartes de ma Cour. Je fais de même pour les cartes de ma main avec une limite de 2 cartes plus les étoiles bleues sur les cartes de ma main.
Ensuite on va faire glisser le marché donc on va décaler toutes les cartes vers la gauche – c’est une rivière de cartes – et les remplacer par la droite par de nouvelles cartes et faire sortir les cartes événements si elles sont tout à gauche ; ensuite c’est au tour du joueur suivant et ainsi de suite jusqu’à la fin de la partie.
Les cartes événements du marché vont avoir une incidence si elles sont défaussées ou achetée (il suffit de lire ce qui est écrit dessus). Même chose pour les cartes rouges de contrôle de domination. C’est ce dernier qui nous fait gagner les PV.
Le contrôle de domination :
Nous allons vérifier que le joueur qui le déclenche domine sur la carte avec sa coalition. On regarde combien on a de blocs. S’il a 4 blocs de plus que les autres on va considérer que le contrôle de domination est accompli et dans ce cas les joueurs les plus influents dans la zone vont recevoir cinq points puis 3 points puis un point donc ça va faire un podium. En revanche si c’est un échec ce sont les joueurs qui ont le plus de cylindres poser dans le jeu (soit sur le plateau soit sur les cartes des autres en tant qu’espions) qui marquent trois points, le deuxième joueur un point. On va indiquer les points sur la piste de score autour du plateau de jeu et si un joueur a quatre points de plus que les autres il remporte la partie.
Fin de partie non prématurée :
Si un joueur n’a pas mis fin prématurément à la partie, on va continuer jusqu’à ce qu’on arrive au dernier contrôle de domination qui donne le double de points et alors le joueur avec le plus de points remporte la partie.
Un mode Solo :
Votre adversaire, qui peut s’ajouter également pour une partie à 2 joueurs, s’appelle Wakhan. Il représente une idéologie radicale qui s’est imposé dans toute la région et qui transcende les loyautés traditionnelles. Il y a 24 cartes IA qui entrent en jeu, pas de cadran de loyauté pour lui et il faudra appliquer des règles de priorité rappelés sur les cartes. Il est un peu déstabilisant, mais dès lors que l’on a accepté que notre adversaire virtuel peut être tour à tour brillant ou piètre stratège, vous trouverez beaucoup de saveur à l’affronter et ne vous inquiétez pas, il vous mettra souvent au moins un genou à terre. Pour ma part, le jeu prend vraiment toute sa mesure à plusieurs mais ce mode solo avec une I.A. automa est bien réalisé et ravira les adeptes de ce type de mode.
Est-ce que c’est bien ?
Ce que j’ai ❤️
- Le matériel abondant, somptueux à la finition exemplaire et sans figurine plastique (pions en pierre, plateau en tissu, illustrations des cartes).
- De la conquête de territoire sans dés.
- De la réflexion avec de la gestion parsemée un peu partout (plateau, cartes de sa Cour, de sa main, de la Cour des autres …)
- De l’interaction, oh que oui !
- L’iconographie claire, lisible, optimisée.
- La grande profondeur de jeu.
- Un thème historique qui sort des sentiers battus. Différent mais plaisant.
- L’originalité. Un jeu unique, pas vraiment un jeu à moteur ni un jeu d’optimisation. Un jeu multiple, à tiroir, empli de surprises et de contradictions.
- Un grand jeu mais une petite boîte bien remplie.
- Les deux façons de gagner la partie (soit aller au bout, soit avoir 4 points de plus que le deuxième).
- Une adaptation tactique omniprésente liée au changements possibles de coalitions.
- Beaucoup de cartes et toutes différentes avec des explications historiques sur chacune d’elles qui collent bien avec les actions de la carte.
- La très grande rejouabilité.
- La rivière de carte avec des cartes Evénement qui, achetées ou défaussées, ont un effet immédiat qui peut tout changer.
- Les contrôles de domination réussis ou ratés qui décident des points à attribuer en cours de partie.
- Son aspect fourbe et parfois cruel (ma femme ne pensera pas la même chose …). Il faut surveiller de très près les autres joueurs.
- Un mode solo bien trouvé en la personne de Wakhan, à la solde d’aucune coalition.
Ce que j’ai 💔
- Quelques petits points de règles sur lesquelles il faut revenir et qui ne sont pas élucidées à 100%.
- 1 ou 2 premières parties nécessairement chaotiques.
- Un livret de règles qui peut être encore revu même si l’ensemble est bien expliqué.
- La nécessité d’avoir des joueurs d’un même niveau sinon cela vire au cauchemar pour celui qui subit
- La nécessité d’être vigilent pour soit et les autres sur les points de règles ou actions de cartes à ne pas oublier.
- Son aspect fourbe et parfois cruel (ça c’est ma femme qui pense cela …)
- De l’opportunisme et pas vraiment de stratégie au long court qui fait qu’on ne voit pas le temps passer.
Design
Les illustrations d’Abol Bahadori , l’iconographie, la calligraphie de la couverture par Josh Berer, la direction artistique de Cole Wehrle, tout est parfait. Un vrai petit bijou dans une boîte élégante. J’ai vraiment été séduit du début à la fin.
Qualité du matériel
Une qualité de matériel époustouflante. Il est abondant, somptueux, à la finition exemplaire et sans figurine plastique : pions en résine sculptée, plateau principal en tissu, illustrations des cartes. Les plateaux individuels, le grand plateau du marché de cartes, les cadrans de loyauté à monter soi-même sont en carton très épais. Des cylindres en bois. La qualité est au rendez-vous pour un jeu au matériel unique. Derrière le plateau du marché, il y a même le plateau de jeu si vous préférez jouer sur du carton plutôt que sur le tissu (ce qui est un crime de lèse majesté pour moi !). Il n’y a guerre que les pièces qui, en carton, sont presque décevantes alors qu’elles sont de bonnes qualité ; on s’attendait à les voir en métal ! Mais quel jeu fournit des pièces en métal de nos jour ? Pas tant que ça.
Tout cela explique le prix relativement élevé du jeu (plus de 70€) mais un prix plus que justifié. On voit des jeux à pledger sur KS qui sont deux fois plus chers et qui ne valent pas cette qualité.
Thème
Le thème du Grand Jeu, comme l’appellent les historiens, est on ne peut plus original et très présent ; la plongée en pleine lutte de pouvoir au XIXe siècle dans les régions afghanes est magnifiquement rendue par la mécanique de jeu et le système de coalitions changeantes, comme elles l’étaient à l’époque. Tout est en parfaite symbiose. La force de ce jeu est de faire véritablement corps avec son thème. Toutes les cartes (qui sont toutes différentes) utilisent des illustrations historiques, un texte expliquant leur propos, et font sens dans le jeu par rapport à la réalité historique. Par exemple, un personnage historique connu pour son réseau d’espions permettra de placer beaucoup d’espions ou un chef de guerre induira un climat politique de conflit.
Alors le grand jeu qu’est ce que c’est. Référons nous à l’ouvrage de Caroline de Margerie :
Le Grand Jeu est le nom du combat, tantôt secret, tantôt avoué, que se livrèrent l’Angleterre victorienne et la Russie tsariste pour le contrôle de l’accès aux Indes et à l’Extrême-Orient. Tout au long du XIXe siècle, le Grand Jeu se joua sur des plateaux désolés du Caucase à la Chine, dans les cols du Pamir et les déserts de Kerman et de Karakoum. Les protagonistes en furent des armées mais aussi des individus, pour la plupart de jeunes officiers qui, déguisés en marchands ou en pèlerins, espionnaient et exploraient jusqu’à en mourir. Le terrain d’élection de ce « tournoi d’ombres » fut l’Afghanistan.
Caroline de Margerie, L’Afghanistan, terrain du Grand Jeu, 2001
C’est peut-être avec Napoléon que débuta cette étrange aventure où les intentions, réelles ou présumées, allaient compter au moins autant que les actes. En 1807, Londres apprit que l’Empereur avait proposé au tsar Alexandre Ier d’envahir les Indes : 50 000 soldats français traverseraient la Perse et l’Afghanistan, où se ferait la jonction avec les Cosaques ; l’Indus franchi, les deux armées entreraient en Inde par le nord. On sait ce qu’il advint de ce plan grandiose. Reste que les Britanniques, arrivés dans la région par la mer et ayant confiance en leur suprématie navale, comprirent pour la première fois qu’elle ne suffisait pas à écarter tout danger et que leur empire était éventuellement accessible par le nord-ouest de l’Inde. Ainsi commença la hantise de la vulnérabilité de l’Inde qui ne devait jamais cesser. Les rapports des explorateurs qui furent envoyés dans ces terres inconnues confirmèrent que le passage était possible, soit par le Nord, par Kaboul et le Khyber Pass, soit par le Sud, via Kandahar et le Bolan Pass…
Mécanique
Une fois les règle bien intégrée la mécanique est simple, fluide, riche et qui apporte un petit côté jubilatoire une fois bien maitrisée.
Car le jeu se résume à peu de chose pour ce jeu qui est dans la catégorie des jeux expert :
Acheter une carte, jouer une carte dans sa Cour, jouer une action spéciale (bonus ou pas).
Faire les placements sur le plateau ou sur les cartes ennemi qui y sont inscrits. Si on domine une région et que le marqueur de faveur correspond à ce que vous avez sur votre carte vous pouvez jouer une des actions bonus de cette carte.
Lorsqu’un carte évènement est achetée ou défaussée du marché, on fait l’action inscrite.
Lorsqu’une carte contrôle de domination est achetée ou défaussée, on regarde si le contrôle de domination est un succès ou un échec et on attribue les points.
Le jeu se joue en fait à un double niveau : sur la carte du pays où l’on cherchera le soutien des tribus locales (et des armées alliées) pour dominer des régions, et dans les Cours (symbolisées par nos cartes) où vont pulluler les espions. A vous de choisir votre stratégie, en dominant le terrain, en envoyant des espions assassiner des opposants gênants ou en cherchant des alliances avec une puissance dominante.
Il s’agira entre autre de constituer un moteur qui va bien fonctionner, de le faire tourner quitte à parfois changer d’allégeance politique à vos risques et périls. L’argent (la roupie) est important dans le jeu, il fonctionne en économie fermée avec des possibilité de temps en temps d’en récupérer (et d’en perdre) à la banque. Car attention, celui qui n’a plus d’argent aura du mal à avaler la pilule, il sera acculé, muselé, forcé à négocier quitte à revoir complétement sa stratégie après chaque contrôle de domination.. mais souvent en vain.
Les règles ne sont pas si complexes mais le jeu peut être un peu déroutant au premier abord. Ensuite tout devient fluide et limpide. Mais attention, une faute d’inattention peut se solder pour une sévère défaite mais même dans ce cas, les parties ont quelque chose d’épique.
Simplicité des règles
Un apprentissage un peu ardu au départ, et quelques retours à la règle nécessaires pour ne rien oublier. Les deux aides de jeux sont bienvenues ainsi que le petit rappel du tour de jeu sur les plateaux perso. Le livret est plutôt bien expliqué que ce soit pour le mode multi ou le mode solo.
Mise en place / Rangement
Pour un jeu expert de ce type la mise en place est rapide (moins de 10 minutes). Une fois le deck de cartes de Cour constitué, la mise en place est simplissime et rapide. Le rangement se fait facilement dans la boîte contenant plusieurs emplacements thermoformés. Beaucoup de sachets sont prévus.
Conclusion
Pax Pamir, un jeu de domination, de contrôle de territoires qui nous embarque dans une simulation historique quasi machiavélique ou opportunités, intrigues diplomatiques, coups politiques et renversements de situation seront légion. En s’appuyant sur des personnages, des lieux et des événements historiques réels, les joueurs vont devoir saisir leur chance et faire triompher un camp mais avec la possibilité d’en changer à tout moment ! Gare au traitre et au couard. Dans Pax Pamir, au grès des 12 cartes du marché, des cartes que l’on posera dans sa Cour, des espions qui pullulerons sur les cartes de vos ennemis, des armées, tribus et routes que l’on disposera dans une des 6 régions convoitées de l’Afghanistan actuelle, il faudra élaborer une stratégie souvent à court terme, rallier la coalition que l’on pensera qui aura le vent en poupe les tours suivants. Et à part votre petite main de cartes, tout est visible de tout le monde (votre allégeance du moment, vos personnages de Cour, les régions que vous dominez) et les conversations de couloir audibles de tous …
Les règles, prises individuellement, ne sont pas compliquées même si on passe vite à côté d’un détail ; cependant à 4 ou 5 joueurs et lors des premières parties, après quelques tours de jeux, les conséquences de la mise en œuvre de chaque possibilité deviendront complexes à intégrer sans avoir recours à l’aide de jeu voire au livret de règle qu’il faudra garder à portée de main.
Mais dans l’ensemble, de par son matériel, ses règles originales, multiples et ses actions bien dosées, ce jeu de tableau building, d’allégeance opportuniste et de contrôle de territoires s’avère être une véritable perle ludique. Des sensations de jeux uniques qui font pour moi de Pax Pamir un véritable coup de cœur. Je n’ai qu’un seul mot à dire : « shabashay ! » (bravo en pachto – afghan).
Testeurs : Laurent, Sandrine
Bonjour et merci pour cet excellent avis.
J’ai toutefois une interrogation: j’ai placé un espion sur la carte (bénéficiant d’une récompense) d’un autre joueur. Je fais l’action trahir cette carte. La carte est-elle défaussée ou puis-je la récupérer pour bénéficier de la récompense?
Merci
Bonjour Jean-Eudes. La carte peut être récupérée comme récompense ou bien défaussée, au choix. Même si elle se trouvait dans votre cour, le choix reste le même. Si récupérée en temps que récompense, un changement d’alliance peut survenir (donc perte possible des cadeaux et patriotes).
Attention aux règles décrites dans l’article il y a quelques erreurs, notamment le fonctionnement des contrôles de domination (on ne regarde pas en premier les pièces du joueur, mais plutôt quelle coalition domine), ou encore l’action Cadeau (on n’achète qu’un seul cadeau, qui coûtera 2, 4 ou 6, et non pas 1/2/3 cadeaux pour 2/4/6 roupies).
En effet après relecture des règles, j’ai apporté les modifications sur quelques points énoncés. Merci 😉