[Carnet d’auteur] Julien Griffon sur son prochain jeu : Faux Raccords
Tout part d’une envie commune
Depuis quelques années, je bosse beaucoup avec Xavier Violeau, l’auteur de Doudou (chez Oka Luda) et de Chou y es-tu (à paraître chez Space Cow).
Nous jouons tous les deux dans la même association nantaise et mes premiers succès éditoriaux ont dû le motiver à se mettre sérieusement à l’activité de création qui le titillait depuis longtemps. Nous avons rapidement commencé à organiser des journées de test à deux, avant d’être rejoints par d’autres membres du CAJO (le groupement d’auteurs de la région nantaise), dont j’étais et suis toujours un membre actif.
Après plusieurs mois de travail commun et quelques déplacements en festival effectués ensemble, nous avons réalisé que nous partagions une envie : celle d’éditer nous-même nos jeux. C’était pour moi un projet de longue date qui n’aboutirait qu’à condition de trouver un ou plusieurs partenaires. Je connais mes limites ! Xavier a évoqué l’idée avec Alban, autre joueur nantais, qui était prêt à mettre ses compétences d’informaticien au service du projet, pour autant qu’on ne lui demandât pas de courir les festivals.
Nous avions donc une équipe, il ne nous manquait plus qu’un jeu à éditer ! Après avoir fait le tour de nos catalogues de prototypes respectifs, Xavier et moi avons vite déterminé que nous allions devoir créer autre chose pour répondre aux trois critères que nous nous étions fixés : un jeu avec peu de matériel, aux mécanismes accessibles sans être trop simpliste et qui nous permettrait de nous faire connaître du monde ludique. Xavier est assez rapidement arrivé avec une proposition à laquelle j’ai accroché : L’Œil d’Horus.
Des égyptiens au cinéma, un pas que Gims franchit, alors pourquoi pas nous ?
Inspiré par mon Yokai, Xavier avait imaginé un jeu coopératif où les joueurs aidaient les dieux égyptiens à mener les âmes au royaume des morts… ou quelque chose de ce genre.
Si le thème ne me parlait pas plus que ça, le principe et les mécanismes me plaisaient bien : il s’agissait de placer des cartes numérotées en ordre croissant sans savoir exactement ce que font les autres joueurs. Il a alors fallu convaincre Alban que c’était bien le bon jeu pour nous, tâche rendue difficile par le peu d’attrait d’Alban pour les jeux coopératifs, mais il a fini par se ranger à notre avis.
En commençant à travailler sur le jeu, nous nous sommes dit qu’il nous manquait quand même un œil plus averti du côté commercial. Qu’à cela ne tienne, nous nous sommes tournés vers Ruddy, dont l’expérience d’animateur et de vendeur en boutique nous semblait bien compléter notre ensemble de compétences. Lors de nos journées de test CAJO, il avait par ailleurs montré sa capacité à avoir des idées brillantes, notamment celle qui fait tout le sel de mon Chute libre (primé à Boulogne-Billancourt et à paraître chez Oka Luda).
Le processus de développement qui a suivi fut laborieux. Après les premiers tests, Alban avait rapidement codé le jeu sur Boardgame Arena (BGA) et nous avons passé de nombreuses soirées à jouer sur la plateforme pour l’améliorer. Nous étions en 2020 et les occasions de se rencontrer étaient alors peu nombreuses et souvent rendues incertaines par les pseudo-confinements successifs.
L’un des points sur lesquels nous étions d’accord était la nécessité de changer le thème. Après un brainstorming intense, nous avons proposé à notre entourage une dizaine de thèmes possibles. Ce rapide sondage nous a permis d’en isoler deux qui semblaient plus populaires que les autres : la constitution d’une colonne de fourmis et la mise en ordre des chapitres d’une histoire. Xavier s’est chargé de la rethématisation « fourmis », qui n’aura eu droit qu’à une partie ou deux avant un abandon définitif. Quant à moi, je me suis appuyé sur la seconde idée pour proposer une version « storyboard » beaucoup plus convaincante.
Comme à son habitude, Xavier avait eu de nombreuses idées mécaniques autour du thème initial, avec jusqu’à 9 dieux égyptiens offrant autant d’actions différentes. Il a donc fallu épurer doucement jusqu’à arriver aux 5 métiers du cinéma qui restent dans la version finale de ce qui deviendrait Faux Raccords.
L’idée loufoque qui fédère autour du projet
Lors d’une réunion en personne, nous avons réalisé que, bien qu’intéressant et offrant un défi original aux joueurs, notre jeu ne révolutionnerait pas le monde du jeu. Nous avons donc cherché ce qui pourrait faire ressortir le jeu au milieu des dizaines de sorties ludiques hebdomadaires. Je vous ai parlé des fulgurances de Ruddy, en voici une : pour un jeu où les joueurs montent un film, ce serait cool qu’ils puissent voir leur film à la fin. Oui, Ruddy, merci pour l’idée, mais comment on fait ça ?
C’est là que sont intervenus nos copains Aymeric et Victor, co-auteurs de Diferencio (à paraître chez Kyf Éditions) et tous deux membres de la grande famille du cinéma. Emballés par notre projet, ils se sont mis à la rédaction d’un scénario. Nous avions revu nos attentes à la baisse et c’est la bande-annonce du film, et non plus le film entier, que les joueurs pourraient visionner à la fin de leur partie. Cela nécessitait toutefois que nous tournions les scènes qui permettraient le montage de cette bande-annonce. Contre toute attente et grâce aux efforts déployés par Xavier, c’est finalement cette étape, qui nous semblait irréalisable, qui s’est faite le plus vite.
Nous avons pu trouver trois acteurs pour jouer les trois rôles principaux : Hannah Martel (qui officiait alors chez Space Cow), Tom Vuarchex (qu’on ne présente plus) et Cyril Caillez (sympathique joueur rencontré à Cannes). Tous trois font du théâtre amateur et ont immédiatement embarqué pour l’aventure. Aymeric et Victor ont embauché deux amis, Sacha Basset-Chercot et Alexis Lardilleux, dont le matériel professionnel et les compétences en prise de son, éclairage, pilotage de drone, etc. ont permis un bien meilleur résultat que nous ne pouvions l’espérer avec nos maigres moyens. Nous avons par ailleurs rameuté une dizaine de figurants que nous avons rendus patibulaires à souhait pour une mémorable scène d’assaut. Tout ce petit monde s’est réuni chez la belle-mère d’Aymeric lors d’un week-end de mai 2022 ensoleillé au bout duquel nous avions plusieurs heures de rushes que Victor trierait et monterait pour nous par la suite.
Du prototype au jeu fini, d’un projet à une société
L’un des aspects qui nous tiennent à cœur dans le projet Entre 2 chaises (le nom que nous avons choisi pour notre société) est la fabrication écoresponsable de nos jeux. Malheureusement, cela constitue une contrainte extrêmement forte, notamment au niveau financier, mais pas seulement. Il n’est pas toujours évident d’obtenir des devis de fabricants français et, dans le cas le plus extrême, il nous a fallu un an et de nombreuses relances pour avoir celui d’un fournisseur potentiel. Dans ce contexte, lorsque Quentin, de Ludotopia, m’a recontacté, à la mi-décembre pour me dire qu’il avait un slot pour nous, mais qu’il lui fallait les fichiers de production de la boîte pour le 10 janvier, nous avons dû faire preuve de beaucoup de réactivité. Heureusement, l’illustrateur, Nikita Daguerre, et le graphiste, Henri Kermarrec, que nous avions pressentis pour Faux Raccords étaient tous deux disponibles. Avec la gestion de tout cela en parallèle, je ne vous cacherai pas que c’est le noël le plus stressant que j’aie vécu jusqu’ici.
Le parti-pris graphique était de réutiliser les images de notre bande-annonce pour illustrer les cartes. C’est un pari osé, quand on voit les critiques des jeux de Flying Frog Productions avant qu’ils abandonnent le photoréalisme (Last Night on Earth, A Touch of Evil, Fortune and Glory…), mais ce choix se justifie par le thème du jeu. En plus, les joueurs pourront faire le parallèle entre les cartes qu’ils auront jouées et les différentes séquences de leur bande-annonce. Cela nous a aussi permis de tenir les délais serrés et de réduire nos coûts déjà élevés de par le choix de la fabrication en France.
Nous avions commencé les formalités administratives pour la création de la société, mais il fallait que nous finalisions celles-ci pour être en mesure de payer nos différents fournisseurs. Malgré quelques bâtons bancaires glissés dans la roue de notre bicyclette entrepreneuriale, chaque étape s’est achevée dans des délais nous permettant de satisfaire aux demandes de nos partenaires. Ainsi, nous savions que notre jeu serait prêt à être commercialisé dans les mois qui suivaient. Nous n’allions pas écouler les 4 000 boîtes de Faux Raccords par nos seuls moyens et il nous fallait donc de toute urgence trouver un distributeur.
Encore une fois, le timing était parfait. Nous avons pu faire imprimer quelques prototypes par Azao dans les temps pour les emmener à Cannes et démarcher les distributeurs et les médias ludiques, tout en profitant du Off pour faire connaître le jeu au public. Les rendez-vous que nous avons eus se sont tous très bien passés, mais c’est Arnaud de Néoludis qui semblait le plus emballé par notre jeu et, comme sa proposition correspondait parfaitement à ce que nous attendions et que le courant passait bien avec lui et son équipe, nous n’avons pas hésité longtemps à signer avec eux. C’est notamment le choix de ce distributeur qui nous permettra de commercialiser Faux Raccords au prix recommandé très raisonnable de 18 €.
Et pour ce prix-là, qu’est-ce que j’ai ?
Faux Raccords est, je l’ai déjà précisé, un jeu coopératif dans lequel vous allez monter votre film. Comme je ne l’ai pas encore indiqué, c’est un jeu pour 2 à 4 joueurs de 10 ans et plus, qui dure une trentaine de minutes pendant lesquelles votre communication sera limitée. Il propose un tutoriel et 5 modes de jeux différents, dans lesquels vous relèverez différents défis : montage d’un long métrage, de deux courts métrages, d’une série, d’un film à plusieurs arcs narratifs et création de votre propre studio de production.
Vous commencerez la partie avec trois cartes Rush en main et, à votre tour, vous pourrez effectuer une action parmi les suivantes :
– Placer une carte Rush dans le film ;
– Faire appel à un collaborateur pour manipuler les cartes dans le film ;
– Regarder secrètement une carte du film.
À la fin de la partie, si les scènes sont dans le bon ordre, c’est gagné ! Vous pourrez alors utiliser l’application pour créer et visionner la bande-annonce correspondant au film que vous aurez monté. Saurez-vous retrouver toutes les références que nous nous sommes amusés à glisser dans les scènes ?