Auteur, carnet de bord # 02 – Auteur on ze road !
Photos de paysages et soleils couchants, flûtes andines et musique country en fond sonore : début janvier, ma compagne et moi décollions pour un périple de six mois en Amérique du Sud.
Non, je ne vais pas vous montrer des photos de moi sur la plage pendant six mois. Oui, je vais continuer à être un auteur pendant ce temps, et à faire au mieux le boulot qui va avec.
C’est sûr, certaines choses ne seront pas possibles. Lorsque l’ensemble de mes biens doit tenir dans deux sacs à dos, il n’est pas question d’emporter avec moi une demi-douzaine de boîtes de prototypes. Encore moins une planche à découper, des mallettes de meeples et de cubes en bois, des protège-cartes et quelques kilos de carton au cas où. Pas de prototypage, donc. Rien avant l’été.
De plus, j’évoquais la dernière fois l’importance et la difficulté de rassembler régulièrement des joueurs assez souvent pour tester chaque version d’un jeu en développement. Je dois désormais compter sur le fait que je ne connais personne dans les lieux où j’arrive, que tous les pays n’ont pas une communauté de joueurs aussi dense que la France, et que la langue constitue pour l’instant un challenge non négligeable. J’arrive de temps à temps à rencontrer des joueurs, et ce sont des moments incroyables, mais c’est une exception plutôt que la règle.
Par contre, il reste parfaitement possible de faire du design théorique, des simulations, de la documentation… et de la paperasse !
Et ça tombe bien, parce que le début d’année est l’occasion de vous parler de l’aspect du métier qui suscite le plus d’interrogations : les droits d’auteurs !
Parlons de sous
Comment les auteurs sont-ils payés ? Plusieurs cas de figure.
Certains sont salariés (ou partenaires) chez un studio ou un éditeur. D’autres s’auto-éditent et vendent leurs oeuvres directement sur les salons ou par Internet. Dans mon cas, et dans celui de la plupart de mes collègues, nous allons chercher un éditeur qui croit suffisamment en nos jeux pour les produire et les commercialiser, et qui nous reverse des droits d’auteur sur le résultat des ventes (ou royalties).
Le montant des royalties est calculé sur la base d’un pourcentage fixé par le contrat d’édition, du prix de vente du jeu et surtout du nombre de boîtes vendues. Par exemple, si un jeu se vend 30 euros en boutique, et que le pourcentage est fixé à 3% du prix de vente final (ce qui est dans la moyenne), cela représente 0,90 euros à l’auteur par boîte vendue. S’il épuise son premier tirage de 4000 boîtes (là aussi, c’est dans la moyenne), le jeu rapportera 3600 euros de royalties. Pour que l’auteur puisse gagner sa vie de cette manière, il faut que son jeu se vende bien au-delà ce premier tirage, ou avoir un grand nombre de jeux en vente simultanément.
Les ventes sont comptabilisées par les éditeurs chaque semestre, et en janvier et en juillet ils informent les auteurs des résultats du semestre écoulé. Une bonne moitié des ventes de l’année s’effectuant juste dans la période des fêtes, le mois de janvier est particulièrement attendu.
Une fois que les auteurs ont les chiffres de vente en main, il faut leur établir une facture du montant des droits, avant d’enfin recevoir la somme sur leur compte en banque.
Pour celles et ceux qui souhaitent en savoir plus, la Société des Auteurs de Jeu met à disposition un livre blanc de recommandations sur le contrat d’édition. Elle a également conduit une grande consultation permettant d’obtenir des statistiques sur les revenus et la situation professionnelle des auteurs.
Dans mon cas particulier, ce semestre a été plutôt décevant. Je n’ai actuellement que deux jeux sur les étagères : Cerbère et Chronicles of Crime – 1400, et tous les deux sont en perte de vitesse. Le total des mes royalties du semestre avoisine les 4000 euros avant impôts. C’est peu, pour un mois de janvier. Surtout, cela veut dire que je ne dois plus compter dessus pour l’an prochain. Si je veux atteindre un équilibre financier sur l’année, j’aurais besoin d’un très bon mois de juillet.
C’est jouable : Cerbère n’a pas encore dit son dernier mot, notamment avec la confirmation de quelques milliers de boîtes supplémentaires commandées (et déjà achetées) par la Russie. Caravanes devrait sortir en avril, et je peux compter sur des ventes conséquentes au moins pour le placement initial. Mais si je pouvais signer d’autres jeux dans l’année, ce serait rassurant pour la suite.
A ce propos, où en sont mes projets ?
T-Rex
Pas d’avancée là-dessus ce mois-ci. En même temps, vu que je m’y suis consacré quasiment à temps plein en décembre, il pouvait se permettre de dormir un peu. La dernière version est chez les équipes de la Boîte de Jeu et d’Origames, et j’attends leurs retours.
Caravanes
C’est fini. Complètement fini. En janvier, j’ai pu jeter un œil aux toutes dernières illustrations, à la boîte, aux icônes ajoutées à la fin du développement, avant de valider le Bon à Tirer (l’assurance de l’auteur que les fichiers pouvaient partir en production sans erreurs). Le jeu sera présenté au FIJ de Cannes en avant-première, où il essaiera de tirer parti de la nomination de Cartaventura aux As d’Or. Peut-être de sa victoire, qui sait ?
C’est avec un pincement au cœur que je vois l’équipe préparer la sortie officielle de ce jeu dans lequel je me suis autant investi, tout en sachant que je n’y serais pas. Mais on ne peut pas tout avoir. Il y aura d’autres salons, et d’autres Cartaventuras.
Pole Bound
Aucune avancée ce mois-ci.
Tromelin
Aucune avancée ce mois-ci.
Mermaidz – L’or des Sirènes
J’avais embarqué une boîte de prototype dans mon sac. C’était une sérieuse entorse à mes contraintes de volumes, mais je ne pouvais me permettre de laisser un jeu fini dormir dans un tiroir pendant six mois de plus.
J’ai eu la chance de faire la rencontre d’un couple qui tient une boutique dans la banlieue de Buenos Aires, et qui m’a invité à présenter mon jeu à leur clientèle. Peu de familles, malheureusement, mais des ados, des associés de la boutique, des non-gamers… Un public assez varié, dont les retours enthousiastes m’ont confirmé que le jeu était prêt (en tout cas, aussi prêt qu’il pouvait l’être).
Encouragés par ces retours, ma compagne et moi avons tourné une vidéo d’explication la plus didactique possible afin de pouvoir le présenter à distance aux éditeurs susceptibles d’être intéressés. La mode du pitch vidéo avait commencé il y a quelques années, mais a vraiment pris de l’ampleur avec la pandémie. Vu mon éloignement, un trailer de qualité me semblait être le meilleur ambassadeur possible pour Mermaidz – qui est rebaptisé pour l’occasion “l’Or des Sirènes”, afin d’avoir plus l’air d’un jeu accessible aux enfants.
C’est du taf, de faire une vidéo. Le story-board, le tournage, le montage, la post-prod, les sons… J’en ai bien eu pour quelques jours. Clairement, je débute et le résultat final sent le fait-maison. Mais il communique bien l’essence du jeu et j’en suis assez fier. Ca me donne envie d’en faire plus par la suite. Avec de meilleurs outils, un meilleur lieu, de meilleures lumières… Plein de choses à améliorer.
Une campagne de soumissions par correspondance implique un certain travail de documentation. En plus du fameux trailer, c’est le moment de s’assurer qu’on a une version à jour des règles du jeu, et des fichiers prêts à imprimer pour en fabriquer une version complète à la demande (un Print-n-Play, ou PnP, comme on dit). Tout ça est stocké en ligne pour pouvoir être envoyé aux éditeurs curieux avec un simple lien.
Il faut ensuite dresser une liste des maisons d’éditions dont la ligne éditoriale semble correspondre au jeu, trouver le contact de quelqu’un qui s’occupe du sourcing pour eux, et leur envoyer à chacun un beau mail de présentation. Puis attendre.
Enfin voilà. L’Or des Sirènes est allé tenter sa chance auprès de quelques éditeurs, et continuera à le faire dans les prochains mois. Affaire à suivre.