[Independence Day] Shakos

Dans la série Independence Day qui se veut une présentation des éditeurs francophones de jeux de société, Julien Busson et Denis Sauvage viennent nous parler de leur maison d’édition, Shakos, qui se fait tout doucement une place dans le jeu d’affrontement historique en démocratisant le wargame pour le rendre accessible à tous. On leur doit Napoléon 1806, Napoléon 1807 et la localisation de Battle Line Medieval. Et des nouveautés arrivent !

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Tentons de percer à cœur l’éditeur Shakos !

Shakos est un nouveau venu dans le monde l’édition. La société Shakos a été créée en mars 2017 par Julien Busson et Denis Sauvage et leur premier jeu, Napoléon 1806, est paru un an après en 2018.

Session de travail avec à gauche Julien, à droite Denis.

Julien Busson : Grand passionné de la première guerre mondiale et du jeu d’histoire en général, Julien est un entrepreneur invétéré. Il a toujours rêvé de publier son propre jeu d’histoire et son association avec Denis, son partenaire de jeu préféré, était incontournable.

Denis Sauvage : Denis est un grognard du jeu d’histoire ayant à son actif plusieurs publications centrées principalement sur l’épopée napoléonienne. Il est notamment l’auteur de la série des « Maréchaux » qui compte à ce jour 5 opus. Il est par ailleurs lauréat du trophée du bicentenaire sur le système « Jours de Gloire », récompensant le meilleur joueur après 19 années de tournoi.

Julien, pourquoi avoir choisi de travailler dans l’édition de jeux de société ? Et qui sont les Shakos Boys ?

La création de Shakos n’est pas en fait un parcours personnel, mais un parcours en duo, puisque Shakos c’est avant tout moi, Julien, et mon compère Denis Sauvage. Nous nous sommes rencontrés un peu par hasard et sommes devenus rapidement partenaires de « wargames ». Il faut dire qu’il n’y avait pas beaucoup d’amateurs de ce genre de jeux dans le Sud Ardèche à l’époque. Je pense que la genèse de la création de Shakos vient principalement de nos longues discussions sur les longs trajets retour du Festival des Jeux de Cannes où est réellement née la volonté d’ouvrir le monde du « wargame », ou jeu d’histoire, au plus grand nombre.

Quel est le rôle de chacun des Shakos Boys ?

Il n’y a pas de rôle vraiment défini, on se répartit les tâches en fonction des impératifs et suivant les préférences de chacun. Je m’occupe plus de l’aspect administratif pour ma part, du fait de mon parcours professionnel, et Denis penche plus du côté relationnel avec nos prestataires et les auteurs. Mais rien n’est vraiment figé et on a érigé aucune barrière ! Ensuite autour de Shakos gravite toute une faune sympathique, illustrateurs, infographistes, testeurs et auteurs notamment.

Qu’on ne nous raconte pas d’histoire 😉, et car tout a un début, peux-tu me parler de la genèse de Shakos ? Quelles sont les raisons, motivations ou opportunités de création d’un éditeur comme Shakos ?

La motivation c’est déjà l’amour du jeu et dans notre cas l’amour du jeu d’histoire. On s’est aussi rendu compte durant des salons qu’il y avait une vraie attirance du public pour l’histoire, mais que le wargame avait tendance à faire peur. Il faut dire que les jeux sont assez austères, les règles parfois longues avec de nombreuses exceptions, le fameux « chrome », et le temps de jeu trop important pour les standards actuels des joueurs. On s’est donc pris à rêver de créer des jeux d’histoire accessibles, avec des composants de type « Eurogame », mais sans sacrifier à l’historicité.

Pour ceux qui ne connaissent pas, que signifie le nom Shakos ?

Shako, n. m. : Coiffure militaire rigide et à visière, le plus souvent de forme tronconique, portée par différentes troupes de l’armée française jusqu’à la première guerre mondiale et, de nos jours, par l’infanterie de la Garde républicaine et par les Saint-Cyriens avec leur casoar.

Le Casoar des Saint-Cyriens : Un shako surmonté d’un plumet.

D’où notre logo qui arbore un magnifique Shako !

Quelles sont ou ont été les principales difficultés rencontrées pour Shakos ?

La principale difficulté a été finalement d’apprendre à connaître les dessous du monde du jeu, les acteurs qui y évoluent et les fondamentaux économiques de ce secteur d’activité. Aujourd’hui il y a une offre très développée et variée avec de gros acteurs, et il est parfois difficile d’être visible au milieu de tout ce foisonnement créatif. Heureusement on peut compter sur le soutien d’un distributeur (Pixie Games) et d’une petite communauté qui s’est constituée autour de nous au fur et à mesure et de chroniqueurs qui nous offre de la visibilité;-).

Quelle est la démarche d’édition choisie par Shakos ? Quelles sont les options choisies, abandonnées ou jamais envisagées ?

On s’est orienté rapidement vers le financement participatif pour financer notre premier jeu Napoléon 1806. Ce premier financement fut un véritable parcours du combattant puisqu’on a réuni la somme souhaitée seulement 4 heures avant la fin de la campagne ! Autant dire que le soulagement a été à la hauteur de l’attente.

Aujourd’hui nous privilégions toujours ce mode de financement car il permet d’atténuer le risque financier et surtout de fédérer une communauté autour de nous. Je pense que cet élément est particulièrement important lorsqu’on est sur un marché de niche. Par contre nous n’avons pas voulu nous couper du circuit de vente traditionnel car, comme indiqué, nous voulons essayer de démocratiser la pratique du jeu d’histoire et casser cette image de jeux austères, longs et compliqués. C’est pour cela que nous travaillons avec Pixie Games pour distribuer nos jeux dans les boutiques partout en France. Dernièrement nous avons aussi localisé Battle Line Médiéval en français en co-édition avec Pixie Games.

Quels sont les choix de fabrication, les impératifs, les impondérables, les contraintes de fabrication à respecter en ce moment ?

Lors de la recherche d’une usine pour fabriquer nos jeux nous avons souhaité travailler avec une entreprise européenne. J’ai passé pas mal de temps à chercher des partenaires en France et en Allemagne notamment. Malheureusement aujourd’hui, et comme dans beaucoup de secteurs, on a pris du retard en France et il est difficile de trouver des partenaires à même de proposer un service global pour la fabrication d’un gros jeu de société, même si quelques initiatives sont à souligner dans ce domaine. Reste donc l’Allemagne, qui a une culture ludique et un savoir-faire important dans le jeu de société, et la Pologne qui offre aussi des solutions compétitives. Pour être franc nous étions sur le point de signer pour fabriquer avec une entreprise allemande pour la production de notre premier jeu, mais nous avons dû attendre plus de deux mois pour une simple mise à jour de devis… Entre temps nous sommes entrés en contact avec un fabricant en Chine grâce à un éditeur américain. Résultat, nous avons produit notre premier jeu en Chine et les suivants aussi. Personnellement je suis ébahi par la capacité de nos partenaires en Chine à offrir un service de qualité, très professionnel. Ils sont très flexibles, répondent très rapidement à vos sollicitations et le résultat final est vraiment très très bon.

Comment Shakos s’intègre-t-il à la démarche d’écoresponsabilité ? Est-ce que cela répond à une valeur partagée dans l’entreprise ?

Produire en Chine ne semble pas être une démarche très éco-responsable. Après la question est de savoir si les consommateurs sont prêts à s’engager aussi dans cette démarche. Si on propose un jeu à 100€ au lieu de 70€ car on produit en Europe en respectant des normes qui augmentent mécaniquement le coût de fabrication, est-ce que le joueur achètera le jeu ? Quand je regarde où sont produit les jeux que j’achète aujourd’hui, j’en doute personnellement fortement. Par contre cela signifie-t-il qu’on ne peut rien faire ? Non. Par exemple nous avons beaucoup travaillé sur le dimensionnement de nos boîtes de jeu. Nous avons eu une vraie réflexion à ce sujet pour la production de Napoléon 1807 et Battle Line Médiéval. Ainsi nous avons réduit la taille de la boîte de Napoléon 1807 d’1/6ème par rapport à celle de Napoléon 1806, et la boîte de Battle Line Médiéval en français est deux fois plus petite que la boîte de la version anglaise. Quand on sait l’impact écologique du transport (sans même parler du coût), cela entre pour moi clairement dans une volonté de réduire l’impact environnemental de nos jeux. Or cette démarche n’est pas généralisée, un des jeux actuel les plus vendus pourrait tenir dans une boîte QUATRE FOIS plus petite. Personnellement je trouve que c’est une aberration, mais dictée par une autre aberration. A savoir qu’un des premiers critères de prix d’un jeu est la taille de la boîte. Plus la boîte est grosse et plus on peut vendre le jeu cher. J’ai entendu plusieurs fois cette réflexion de plusieurs acteurs du monde ludique, avant même de se demander si le jeu est bon ou si la boîte est remplie d’autre chose que de vide…

Comment Shakos se fait-il le mieux connaître ? Y a -t-il des pistes de plus en plus abandonnées pour un éditeur ? et d’autres qui sont de plus en plus envisagées ?

Le financement participatif est un réel outil marketing. Il permet de s’assurer de la visibilité et de fédérer une communauté autour de soi, même si il y a des évolutions importantes au niveau des contributeurs qui deviennent de plus en plus des consommateurs qui veulent faire une bonne affaire plutôt que des soutiens à l’éclosion d’un projet. Cela est dû aussi à l’évolution des projets, car les plate-formes sont aussi devenues pour certains éditeurs des magasins de vente. On travaille aussi sur les réseaux sociaux pour gagner en visibilité, mais cela demande plus de temps qu’on l’imagine. Notre distributeur aussi nous aide à faire connaître nos jeux via sa force de vente et ses propres moyens de communications. Enfin on compte aussi sur les chroniqueurs ludiques pour nous offrir de la visibilité car nous n’avons pas de service de presse, ni la capacité de dépenser beaucoup pour se payer des encarts de publicité.

Quelle est la ligne éditoriale choisie par Shakos ? Si j’ai bien compris, du jeu historique de confrontation à deux, accessible à tous. Est-ce un peu ça ?

C’est tout à fait çà. On n’est pas dans du jeu coopératif ou de gestion où l’on joue de son côté en embêtant de temps en temps son adversaire. L’aspect historique est très important pour nous, et il faut que le jeu donne le sentiment aux joueurs de réellement revivre l’histoire et éventuellement de la réécrire. Ce qui n’est pas forcément si simple car comment simuler convenablement des événements historiques tout en restant simple et accessible ? C’est pour cela que la phase de développement est primordiale dans nos jeux et nous nous posons toujours la même question : « qu’est ce qui était réellement important lors de cette épisode historique ? ». On se concentre alors sur cet aspect et on essaie de trouver des astuces ludiques pour simuler le reste. Ainsi pour la série Napoléon on voulait simuler l’épuisement des troupes (d’où le mécanisme de fatigue) et l’incertitude liée à la période. Ainsi vos troupes n’ont pas une valeur de déplacement fixe mais bien variable car on ne compte pas dans l’histoire les « occasions manquées » et on voulait vraiment que les joueurs ressentent cette frustration du plan qui ne se déroule pas comme prévu. Les autres événements historiques annexes, comme la destruction d’un pont par exemple, sont simulés grâce à l’utilisation des cartes qui permettent de ne pas complexifier les règles inutilement.

Comment se font les choix actuels des jeux, des auteurs, des illustrateurs ?

Nous avons plusieurs critères, le principal étant que nous souhaitons avant tout publier des jeux avec une composante historique plus ou moins forte. Ensuite c’est très simple, on joue au prototype qu’on reçoit et soit on accroche tout de suite, soit on n’accroche pas. Malheureusement nous n’avons pas le temps matériel d’investir sur un jeu qui serait éventuellement peut-être bien si on y passait de nombreuses heures de développement. Pour les illustrateurs, à chaque fois ce furent des rencontres sur des salons qui se sont concrétisées par une collaboration. L’aspect humain et relationnel est très important pour nous.

Comment Shakos s’intègre-t-il dans la conception des jeux qu’il édite ? A quelle étape joue—t-il un rôle essentiel ? Quel est ton rôle personnellement dans ce processus ? Et Combien de temps prend en moyenne l’édition d’un jeu ?

L’éditeur prend la main dès qu’il dispose d’un prototype qui tourne bien. A partir de là c’est nous qui proposons des modifications du design pour coller avec notre ligne éditoriale. Ensuite nous gérons tout, à savoir l’aspect graphique, puis la production et la vente. Avec Denis on intervient un peu en équipe à toutes les étapes. Étant aussi auteurs nous-mêmes, on développe les jeux de l’autre. Et entre l’idée initiale et le moment où on tient un exemplaire de production dans les mains, il se passe souvent bien plus d’une année.

Parlons des jeux édités par Shakos. Denis Sauvage nous parle de Napoléon 1806. Comment a-t-il vu le jour ? Quelles évolutions dans la conception a-t-il connu ?

Napoléon 1806 est une évolution d’un système, Les Maréchaux, que j’ai créé pour la revue Vae Victis consacrée aux jeux d’Histoire. Plusieurs opus ont vu le jour comme jeux en encart du magazine notamment. Ensuite est venue l’idée de simplifier la mécanique pour qu’elle colle à nos objectifs, à Julien et moi à savoir : des jeux dynamiques, attrayants visuellement et disposant de règles claires. Il a donc fallu faire des coupes franches et mettre de côté ce qui n’était pas nécessaire. A ce moment, il vaut mieux bien s’entendre avec le développeur. Lorsque Julien annonce qu’il faudrait enlever cela ou changer la terminologie de certains concepts, c’est un temps de grande fébrilité. En quelques instants tu mesures les implications de cette modification dans les règles qu’il va falloir réécrire et les nouvelles interactions que cela provoque et que tu n’as pas anticipée. J’attends ma revanche pour le jeu de Julien sur les premiers mois de guerre à l’ouest en 1914.

Denis nous évoque comment est venu l’idée de localiser Battle Line Médiéval en septembre dernier ?

Lors des salons ou festivals où nous présentions la gamme Shakos, on s’est vite rendu compte qu’il nous manquait des petits jeux en termes de volume pour attirer les curieux et expliquer rapidement les règles. On souhaitait aussi se faire connaître un peu mieux dans le réseau des boutiques françaises avec un jeu moins volumineux que ceux de la série des Napoléon. J’ai regardé chez GMT Games, éditeur américain de wargames, les parutions répondant à ces critères. Battle Line Médiéval qui venait de sortir m’a semblé très vite correspondre à ce choix. La localisation s’est faite rapidement avec un beau succès (voir ici le test de Battle Line Medieval sur Undecent.fr).

Denis nous présente l’actualité de Shakos, à savoir déjà Napoléon 1807. Pourquoi partir sur une ‘suite’ de 1806 avec la Campagne de Pologne ?

La campagne de Pologne est une situation stratégique intéressante avec des campagnes variées sur des courtes durées, de l’espace pour la manœuvre et une belle épopée à raconter avec les affrontements dans la neige et la boue à Eylau ou Pultusk. Chaque volume de Napoléon se doit de proposer quelques options nouvelles pour la série. Pour Napoléon 1807 c’est la multitude des scénarios.

Dans Napoléon 1806, je voulais un jeu asymétrique, tendu, destiné à la compétition. 1807, c’est la variété des choix et des décisions à prendre qui prime.

Pour Napoléon 1815, prochain opus en devenir, ce sera le mode 3 joueurs qui verra le jour.

Y a -t-il des projets dont tu peux nous parler ?

Shakos devrait enrichir sa gamme au premier semestre 2021 avec la signature d’un nouvel auteur, Stéphane Brachet, qui propose un jeu malin Border States, sur la guerre de sécession et les enjeux des 5 états majeurs de la campagne. De mon côté j’ai développé une nouvelle série, En Ordre de Bataille, sur les batailles rangées médiévales. Chaque boite couvrira deux engagements d’un chef de guerre illustre. La première boîte sera consacrée à Saladin et aux batailles d’Arsouf et de Hattin.

La bataille de Hattin a lieu le 4 juillet 1187 près du lac de Tibériade, en Galilée. Elle oppose les armées du royaume de Jérusalem aux forces de Saladin.

La bataille d’Arsouf eut lieu le 7 septembre 1191, à Arsouf, en Terre sainte, dans le cadre de la troisième croisade. Elle opposa une armée croisée forte de 20 000 hommes commandée par Richard Cœur de Lion, renforcée par des contingents de chevaliers de l’ordre du Temple et des chevaliers de l’ordre de L’Hôpital, à une armée ayyoubide forte de 20 000 hommes, commandée par Saladin.

Les deux jeux sont déjà réalisés et testés, nous finalisons actuellement les aspects visuels. Une partie de Saladin et de Border States peut être envisagée en 30 minutes à 1 heure. Ils ajoutent de nouvelles perspectives à notre catalogue.

Quel impact a (ou a eu) la crise liée au Covid sur un éditeur comme Shakos ? Comment vois-tu l’évolution du marché de l’édition du jeu ?

Assez paradoxalement la crise du COVID nous a permis de dégager du temps (car nous avons tous deux des emplois à côté) pour accélérer sur le développement de Shakos. On a ainsi mis en ligne notre site web en mai de cette année. Cette crise a aussi conforté le dynamisme de ce secteur d’activité, même si la fermeture des boutiques physiques n’était pas une bonne nouvelle à mon sens. Aujourd’hui le plus gros risque est de voir une saturation du marché, et une concentration des principaux acteurs du monde du jeu qui va rendre de plus en plus difficile le développement des petits éditeurs, noyés dans la masse. Dans ce cadre, il me semble primordial de développer une véritable identité pour rester visible.

Pour conclure, qu’est-ce qui selon toi fait l’originalité d’un éditeur comme Shakos ?

Notre positionnement ludique, à savoir le jeu d’affrontement direct, qui est finalement assez rare, la composante historique qui n’est pas seulement un habillage, et la volonté de démocratiser ce type de jeu. On est d’ailleurs ravi de voir durant les démos des jeunes de 10 ans prendre du plaisir à jouer. Si en plus cela peut donner envie de découvrir l’histoire c’est encore mieux. Ne dit-on pas d’ailleurs qu’on apprend mieux en s’amusant ?

Propos recueillis par Laurent

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