[Entretien avec] Roberto Fraga, capitaine créateur ludo-loufoque

Aujourd’hui j’ai l’immense plaisir d’interviewer Roberto Fraga, créateur de jeux et d’objets Ludo-loufoques en tous genres : Captain Sonar, River Dragon, Gare à la toile, Princess Jing, Docteur Eureka, Contrario, Pingo Pingo, La Salsa des Oeufs … et j’en passe puisque Roberto a à son actif plus 130 jeux édités partout sur la planète et même au-delà !

Bonjour Roberto, tout d’abord merci d’avoir accepté cette entrevue !

Roberto, peux-tu en quelques mots nous parler de toi et décrire ton parcours ?

Je suis né à La Coruña en Espagne (Galice) en 1960 et mes parents m’ont traitreusement arraché à la mère patrie pour émigrer en France en 1961 (j’avais un an). J’ai donc les deux nationalités (Espagnole et Française).
Je crée des jeux depuis l’âge de 14 ans. La création de jeux était un hobby et j’ai eu plein de métiers « sérieux » de 1979 à 2010 avec, dans l’ordre, chauffeur livreur, timonier sur un porte-avions, dessinateur en bâtiment, cheminot, matelot sur des paquebots de croisières, officier de marine marchande, garde-pêche, plongeur sous-marin, représentant en matériel sécurité incendie, pour terminer commandant d’une vedette garde-côtes des douanes à Saint-Malo. Toutes ces aventures, rencontres et voyages ont toujours été une grande source d’inspiration.

En Décembre 2010, j’ai décidé de démissionner pour vivre entièrement de ma passion et la SARL FRAGAMES est née le 1er Janvier 2011.

Enfant quel joueur étais-tu ? Quels étaient tes jeux de chevet s’il y en avait ?

Dans les années 60/70 on n’avait pas grand-chose et mes parents qui étaient ouvriers n’avaient pas les moyens de m’acheter tous les jeux que j’aurai voulu. Je me rappelle avoir beaucoup joué au « Chinchon », un jeu de cartes traditionnel espagnol dérivé du rami, au pouilleux, aux dames, etc.

Mais j’ai toujours été beaucoup plus créateur que joueur…

Un jeu en particulier t’a-t-il fait basculer dans le jeu de société « moderne » ?

Je ne me rappelle plus trop, peut-être Scotland Yard de Ravensburger.

Comment as-tu sauté le pas entre jouer et être acteur du monde du jeu ? Cela a-t-il relevé du parcours du combattant ?

Cela a été une très longue marche. A l’âge de 14 ans, je découvre Kroll & Prumni, un wargame spatial light édité par International Team (Les mêmes qui avaient fait le gang des Tractions Avant). En grand fan de SF je crée un premier jeu, le Cosmopoly, un Monopoly-like où on peut acquérir des planètes par l’argent, la force ou la ruse. Comme j’étais aussi un fan de la période du Premier Empire, j’ai créé plusieurs wargames Napoléoniens.

Donc oui, je confirme, avant de faire La Danse Des Œufs, j’étais plutôt créateur de wargames.

J’ai pas mal participé au concours de créateurs de Boulogne-Billancourt et j’ai été de nombreuses fois primé. Le record inégalé a été en 2000 ou j’ai obtenu trois prix :

  • Gobelet D’or pour Les Dragons Du Mekong, qui allait être édité par Jeux Descartes et est devenu River Dragons chez Matagot.
  • Gobelet D’or Junior pour Akhenaton qui a été publié 18 ans après par Matagot sous le nom de Princess Jing.
  • Dé D’or du jeu de stratégie pour Moaï (crée avec mon ami Odet L’Homer) qui a ensuite été publié par Twilight Creations sous le nom de Easter Island.

En 1992 j’ai commencé à me rendre sur les salons de Paris, Nuremberg et Essen une fois par an, pour y présenter mes prototypes. J’avais déjà plein de jeux d’action, de rapidité, avec des totems ou du matériel improbable et/ou utilisant des bandes son (les ancêtres de Squad Seven/Pingo Pingo), mais je n’ai fait qu’essuyer des refus sous prétexte que ces types de jeux ne seraient jamais à la mode.
Ça a bien changé depuis !

Chaque année j’envoyais plus de 40 prototypes aux éditeurs mais sans résultats pendant 8 ans. Entre 1992 et 2020 je pense avoir dépassé les 1200 prototypes envoyés aux éditeurs aux 4 coins du monde !
La situation était étrange car je remportais de nombreux prix aux concours de créateurs de Boulogne, Besançon, à L’hippodice Spieleclub en Allemagne ou encore au concours Archimede en Italie, mais je n’avais jamais aucun jeu édité.

Tout cela avait un coût (Déplacements, maquettes, etc…) et en 1999 la situation financière familiale était dramatique et j’ai bien failli tout arrêter. Heureusement, mes 3 jeux primés à Boulogne en 2000 et l’édition des Dragons Du Mékong m’ont fait changer d’avis. J’ai ensuite continué à écumer les salons et festivals, en allant parfois très loin, comme à Sao Paulo, au Québec, aux New York et Chicago Toy Fair, à la Hong Kong Toy Fair, etc. et j’ai commencé à publier de plus en plus de jeux.

Pendant ce temps j’exerçais mes fonctions d’officier du service garde-côtes et plus tard de commandant.
Le contraste entre ces deux activités était très fort et les journalistes étaient friands de cette situation originale (J’ai un milliard d’anecdotes sur cette époque où je cumulais ces deux activités aussi contrastées). Mais cela est devenu de plus en plus dur à gérer au fil des années.

C’est pourquoi, quand cela a été possible financièrement, j’ai décidé en décembre 2010 de démissionner du service garde-côtes des douanes pour créer la SARL FRAGAMES. L’idée de combiner Fraga et Games m’était venue très tôt, dès 14 ans, et tous mes jeux portaient ce nom, juste pour le fun. Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour ce serait le nom officiel associé à mon activité.

Donc OUI, on peut dire que cela a été un parcours du super-combattant !

Quel est ton processus de création car je sais que tu as mille idées en tête ?

Et bien, il n’est pas du tout comme vous pourriez l’imaginer.
Je ne m’assois pas à une table en me disant « Aujourd’hui je vais créer un jeu où on devra développer une colonie la plus autosuffisante possible ». Mes idées surgissent à tous moments et n’importe où, mais le plus souvent en voyage ou lors de rencontres ou situations rocambolesques. Elles peuvent aussi arriver en visitant un magasin de gadgets et en découvrant des objets hétéroclites dont je pourrais détourner l’utilisation initiale.

Je fonctionne par flashs créatifs et je suis très observateur. Je pense qu’il faut aussi que certaines conditions émotionnelles soient réunies.

Une fois que le flash créatif est là, cela peut aller très vite. La preuve, je me suis rendu compte que les jeux que j’ai développé le plus rapidement sont ceux qui se vendent le plus… exception faite de Captain Sonar qui nous aura pris deux ans !

Quelques exemples de situations particulières ayant donné naissance à des créations originales (cliquez sur le nom du jeu pour avoir l’anecdote complète) :

  • Doctor Panic, dont l’idée m’est venue en rentrant au bloc après un grave accident en mer, en sautant sur un bateau de trafiquants.
  • Princess Jing, qui a été créé en regardant un clip de Michaël Jackson (Do You Remember The Time).
  • Time No Time créé dans l’avion entre Paris et New York (Parce qu’il fallait que j’ai un jeu de plus à montrer à la New York Toy Fair !).
  • La Danse Des Œufs dont l’idée est venue en regardant un magicien sortir des œufs de sa manche et les donner à des enfants, qui les faisaient tomber !
  • Gare à La Toile, allongé sur mon lit, en regardant une araignée descendre du plafond au bout de son fil !

Et il y a des dizaines d’histoires de création à raconter !

En tant que baroudeur de la ludosphère, quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un joueur désireux de faire éditer son premier jeu ?

Finalement, inventer un jeu n’est pas si difficile.
Mais en créer un qui ne soit pas une nouvelle version d’un jeu existant, qui soit original, simple, efficace, pas trop cher à fabriquer, qui donne envie de rejouer, d’en parler, c’est déjà plus dur.
Créer un jeu qui trouve son éditeur, qui soit bien réalisé, bien illustré, qui soit bien commercialisé, c’est encore plus dur.
Et que le jeu ait une vie longue et s’installe dans la durée, comme un classique… là ça devient très très difficile !

Tout est résumé sur le site Fragames (onglet Comment éditer un jeu ?).

Tu as l’habitude de sillonner les mers, d’aller sur certains festivals de jeu à l’étranger pour y faire des démonstrations de tes jeux. En quoi cela est-ce important pour toi ?

C’est le plus important. J’adore lier tourisme et activités ludiques partout sur la planète. De plus le jeu est un lien qui rapproche les gens, quelque soit leur origine, âge, condition sociale, nationalité, couleur de peau, etc…

Quand je débarque pour la 4ème fois à Buenos Aires, deux valises pleines de jeux, pour en donner à mes amis du club local, La Cantera, pour en présenter à des éditeurs locaux, pour faire une partie épique de Captain Sonar avec des champions Argentins, tout cela créé des souvenirs incroyables, des liens, des amitiés nouvelles (et j’adore l’idée d’être milliardaire en amitié grâce au jeu !).

Et quand la soirée jeux se termine par une danse Bollywood géante dans les rues de Buenos Aires, je suis heureux et je me sens chez moi (Bien sûr, le fait de parler couramment espagnol aide aussi !).

Et c’est la même chose partout, à Seoul pour un Master Class, au Quebec pour des démonstrations, au Chili et à Rio De Janeiro pour des tournois de Captain Sonar, et dans plein d’autres endroits où nous pratiquons l’Anti-Distanciation Sociale ! ;o)

Comment est né le jeu Captain Sonar ?  En quoi ton parcours a-t-il influencé la création de ce jeu ? Entre les protos et la version finalisée, le jeu a-t-il beaucoup évolué ?

J’ai toujours eu envie de créer des jeux où on vivait une expérience unique, et comme j’ai passé la majeure partie de ma vie professionnelle sur des bateaux, il était normal que j’aie envie de créer un jeu de combat de sous-marins où on ait vraiment l’impression de faire partie de l’équipage.

Très vite j’ai eu l’idée d’utiliser un matériel simple, comme les feuilles et les feutres effaçables. J’ai commencé par travailler sur le poste de Capitaine, et comme j’avais été moi-même commandant d’une vedette garde-côtes, cela a été assez facile.

L’idée du calque utilisé par le détecteur est directement inspirée de ma fonction de timonier sur la passerelle de commandement du porte-avions Clemenceau. On avait à l’époque des anciens radars avec un faisceau blanc partant du centre (notre navire) et balayant tout l’écran en révélant les échos des navires alentour. Très régulièrement, l’officier de quart me demandait de calculer la route relative de tel écho par rapport à tel autre.
J’utilisais alors un calque pour faire un tracé vectoriel et le glissais sur la surface de l’écran. De plus, lors des opérations navales où nous jouions à la guerre avec tous les navires de l’OTAN, l’effectif était doublé sur la passerelle de commandement et on avait jusqu’à 16 personnes criant des ordres dans tous les sens à un rythme de plus en plus accéléré au fur et à mesure de l’approche de l’ennemi.

Cela ne vous rappelle pas les situations épiques vécues lors de parties de Captain Sonar ?

Mais l’élément déterminant dans le développement du jeu a été la rencontre avec mon ami Yohan Lemonnier qui, à l’époque travaillait sur un système de jeu qui s’approchait de ce que je voulais faire et l’amitié naissante aidant, nous avons décidé de partir en plongée ensemble !

Le plus difficile a été de développer le poste de mécano et un nombre incroyable de versions se sont succédées (dont une utilisait des dés !). Nous voulions vraiment que tous les postes soient liés pour créer une communication intense pendant le jeu. Au final, deux ans auront été nécessaire et nous sommes très très fiers du résultat, car Captain Sonar est vraiment une expérience que chaque joueur se doit de vivre au moins une fois dans sa vie !

Et finalement, la boucle a été bouclée, puisque le teaser du jeu a été tourné à bord de la dernière vedette garde-côtes des douanes à bord de laquelle j’ai travaillé.

Peux-tu nous dire deux mots sur deux ou trois créations dont tu es le plus fier ?

Et bien tout d’abord Captain Sonar et Squad Seven (Pingo Pingo chez Iello) car ce sont des jeux où on vit vraiment une expérience unique. Sans oublier River Dragons, car c’est mon premier jeu publié et j’ai donc un attachement tout particulier pour ce jeu. Il date de 2000 mais soulève toujours l’enthousiasme, surtout dans sa version géante.

As-tu quelques photos de prototypes à nous montrer ?

Bien sûr ! Magic Spirit, Un jeu magnétique incroyable et fascinant mais difficile à produire.

Maldivia, Un jeu familial avec un plateau en tissu dont la surface diminue au fur et à mesure.

Twist Again, Un jeu très original et tordu, mais également difficile à produire.

Crazy Pumps, Une usine à gaz qui ne sera jamais publiée !

Peux-tu nous parler de tes futures sorties ?

Avant la fin de l’année on aura :

  • Magnefix, un jeu utilisant des Magformers publié par Amigo en Septembre 2020.
  • Carcata, un jeu familial avec un volcan catapulte publié par Goliath en Septembre 2020.
  • Dekalko, un jeu de dessin très original, publié pendant le confinement par Tiki Editions.
  • Attention, Prêts, Mangez, un jeu pour enfants publié fin 2020 par Auzou.
  • Pescadores, la version Argentine de Shrimp, publiée par Maldon Games.

Et en 2021 sont prévus :

  • Uly Et Polly, un petit jeu de bluff pour enfants chez Blue Orange
  • Spin Circus, un jeu pour enfants, crée avec mon ami Yohan Goh et publié par Blue Orange.
  • Shrimp (Nom provisoire), la version Japonaise de Shrimp publiée par Sugoroyuka.
  • Crystal Bay, un jeu hybride (vidéo/jeu de plateau) publié en KS par Wizama.
Crystal Bay

Avec quel auteur et quel illustrateur de jeu rêverais-tu de travailler ?

Helmut Krapunstein, c’est un auteur Allemand vivant en Papouasie Orientale ?

Où sont édités tes jeux ? Qu’est ce qui a permis ce choix ?

Cela serait trop long de répondre à cette question. Avant de signer un contrat j’essaye toujours de négocier les territoires car je pars du principe qu’un acteur local vendra peut-être mieux mon jeu qu’une hypothétique filiale d’un géant du monde ludique. Du coup, et après plus de 30 ans de PLI (Prospections Ludiques Internationales), je connais 99% des éditeurs mondiaux et j’essaye de négocier directement avec eux, quand c’est possible.

Donc, je peux dire qu’il y a des jeux Fraga partout dans le monde. J’ai même signé 4 jeux en Inde avec Pegasus Toy Kraft (dont un inédit !).

Hummmm… Mais, pour être payé, c’est une autre histoire…

En tant que joueur quels sont tes trois coups de cœur jeux de société ? Et pourquoi ?

Je ne suis pas très joueur, je préfère créer que jouer et j’ai très peur d’être influencé. Donc pour rester original, je m’informe juste sur les sorties, les tendances mais ne dévore pas forcément toutes les nouveautés. Je n’ai pas forcément envie de suivre les tendances, mais plutôt envie de créer de nouvelles voies.
Le monde serait vraiment trop triste si on se contentait de suivre les voies établies !

Mais je peux quand même citer 3 jeux, coups de cœur :

  • Villa Paletti, car c’est un jeu d’empilement très original, surtout dans sa version géante.
  • Pickomino, car j’adore y rejouer où que je sois dans le monde.
  • Les Aventuriers Du Rail, parce que c’est l’exemple parfait du jeu pour découvrir le monde ludique.

Quel serait selon toi un jeu sous-coté ?

Un jeu qui ne serait présenté en boutique que par la tranche ? ;o)

Entre nous, as-tu un scoop à nous partager ?

Je suis grand-père d’un magnifique petit Pablo !

Comme dirait ma femme, il n’y a pas que le jeu dans la vie. Justement, quelles sont tes autres passions ?

J’aime beaucoup naviguer et donc je sors en mer avec mon Fragafast dès que je peux.
J’aime beaucoup voyager et découvrir d’autre lieux et cultures, et c’est aussi une grande source d’inspiration.
J’aime aussi beaucoup la lecture (Exclusivement les romans historiques et la SF).
Je suis aussi un fan de musique et danse Bollywood.

J’ai aussi fondé Le Corsaire Ludique et j’aime organiser des événements originaux tels que :

Pour terminer cette entrevue, je te propose de sortir le jeu “Questions de merde”. Tes réponses peuvent être franches ou décalées !

Je tire 3 cartes, prêt ?

Voici les questions de la première carte: 

Quel est l’intérêt de se marier ?
D’être enfin honnête une fois dans sa vie !

Si tu pouvais envoyer un texto à tous mes contacts, qu’écrirais-tu ?
LOL mais gaffe !

Qu’est ce qui est indispensable pour passer une bonne soirée ?
Du Ouiskiki.

Deuxième carte

Quelle est la toute dernière chose que tu fais avant d’aller au lit ?
Je pense à ma prostate.

Quel talent as-tu gâché ?
Le dessin dare dare.

Quelle mission serais-tu prêt à confier à ton clone ?
De me faire un Tiramisu par jour ! (miam miam NDLR)

Dernière carte

Quelles sont les deux dates clé de ta biographie ?
La clé de sol et le clé en main.

Quelle invention prouve que les humains sont idiots ?
La bombe atomique ?

Que te diras dieu, juste après ta mort ?
Mais, qu’est-ce qu’il attend pour monter !?

Merci beaucoup, Roberto d’avoir répondu à mes questions ! A bientôt à Saint Malo dans le Fragalab de Roberto, le laboratoire à idées où Roberto passe 99,99% de son temps à créer, tester, découper, dessiner, m’amuser, re-tester, re-m’amuser, etc… !

Chers lecteurs, si vous avez aimé les dernières questions de cette interview, vous pouvez les retrouver dans le jeu “Questions de Merde “ chez Le Droit de Perdre.

questions de merde

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